Usage du journal de bord par les stagiaires d’une Licence professionnelle de Formation de Formateurs

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Contribution RUMEF

Amiens, 18 et 19 mars 2021

Usage du journal de bord par les stagiaires d’une LP de F de F

Hugues Lenoir

Enseignant-chercheur émérite

LISEC EA 2310

Ancien responsable du DUFA puis de la LP de formation de formateurs de Paris-Nanterre.

Introduction

Je me propose dans cette communication d’analyser les journaux de bord réalisés par les stagiaires de la licence professionnelle de formation de formateurs de l’université de Paris-Nanterre dont je fus responsable une dizaine d’années, et ce jusqu’en novembre 2018. Journaux de bord rédigés à l’issue de chaque cession par les stagiaires volontaires sous l’égide d’un de mes collègues Pierre Layat dans le cadre d’un module d’analyse des pratiques. Le corpus mobilisé représente environ deux-cents pages dactylographiées et rédigés entre 2007 et 2018 (500 sous format électronique). Ma contribution veillera à respecter le contrat d’anonymat qui était passé avec les adultes en formation. A partir de ce riche corpus, j’essaierai de dégager quelques verbatim significatifs touchant aux processus d’accompagnement ou de manque d’accompagnement signifiés par les stagiaires durant leur formation à Nanterre et à procéder à quelques analyses sur les effets induits par ces processus. Je tenterai aussi de faire apparaître des modalités coopératives d’accompagnement mises en œuvre par et pour les stagiaires eux-mêmes de manière spontanée ou volontaire.

Enfin, toujours à partir des mêmes ressources, je veillerai à pointer les effets d’individualisation de la formation et d’autonomie des formés voire l’engagement de processus d’émancipation intellectuelle ou citoyenne. Au-delà, je m’autoriserai enfin à souligner tout ce qui à mes yeux, pour peu que l’échantillon la fasse apparaître, la dimension axiologique et les valeurs sous-tendues dans cette formation de formateurs.

Tel était mon projet initial guidé par quelques prélèvements aléatoires dans le corpus. Mais de fait les questions de l’accompagnement ou de son absence ou encore de l’individualisation n’apparaissent que peu ou marginalement. Au demeurant, la lecture de ses productions écrites est riche et éclaire le réel de cette formation de formateur et de ses effets induits chez les adultes en éducation.

Méthodologie

A partir d’une sélection de journaux de bord dont l’amplitude est évoquée ci-dessus, j’ai fait une lecture systématique de l’échantillon-papier. La lecture de ces productions a guidé l’organisation thématique de cette contribution. Organisation qui s’est construite, de fait est apparue, progressivement voire s’est « naturellement » imposée. Pour évoquer les thèmes retenus et utiliser lesverbatim, je respecterai le contrat passé avec les anciens stagiaires et mis en place par Pierre Layat et dont le texte figure en bas de page sur l’ensemble des journaux. A savoir : « ces textes sont exclusivement réservés aux étudiants et à leurs formateurs ». Certes en les utilisant aujourd’hui, je déroge à la règle mais le matériau est précieux et ne pas l’utiliser aurait été dommage d’autant que mon pilotage de cette licence à cesser en 2018, que l’équipe pédagogique a été dispersée, que tous les anciens stagiaires sont retournés à l’anonymat. C’est pourquoi je m’autorise à le faire aujourd’hui. Néanmoins pour respecter le contrat et l’anonymat, lesverbatim utilisés ne seront jamais nominaux même si certains textes sont signés d’un nom et d’un prénom dans les originaux. D’autres fois, signés d’un prénom seul voire d’un pseudonyme de promotion et rarement sans signature. Dans tous les cas, ici, je n’utiliserai que les seules initiales du nom et prénom ou l’initiale du seul prénom ou pseudo suivis de l’année de rédaction du journal de bord. Le choix aléatoire de l’échantillon et le fait que certaines années exemple 2010) furent plus prolixes que d’autres expliquent en partie l’apparition plus fréquente de tel ou telle comme auteurs deverbatim. Fréquence toute relative qui ne retire rien à la qualité et à la force des propos qui ont pour vocation d’être plus signifiants que représentatifs même si par choix sur certainsitemsje n’ai pas hésité à jouer de la redondance afin de souligner l’importance des occurrences et de la permanence année après année d’une certaine récurrence dans les propos et les problématiques évoquées.

Certains de sesitems d’ailleurs auraient pu apparaître dans le cadre de plusieurs thématiques, mon choix fut de ne les reprendre qu’une seule fois… au lecteur d’éventuellement les redistribuer. J’ai respecté la chronologie par faciliter. Au-delà de ma thématisassions, on notera la force imageante et poétique de certains propos mon intention première étant de redonner « la parole » aux stagiaires et de la respecter, à cette fin j’ai laissé dans les citations l’emploi de majuscules ou de guillemets mis sans doute à dessein, celui de souligné tel ou tel élément.

Enfin, il me faut préciser que mes choix, au demeurant subjectif, ont limité les thématiques abordées plus loin. Un autre lecteur, à partir des mêmes matériaux en tirerait sans doute d’autres catégorisations conduisant à d’autres réflexions et analyses. J’aurais aussi pu multiplier lesverbatimsur un même thème mais je me suis contenté de quelques illustrations face à des discours d’années en années récurrents.

Je souligne dès à présent la qualité et la force de certaines formulations ou de certaines assertions. Le lecteur de cette communication en jugera. Pour moi, cette lecture me permis de faire un retour sur plus de dix années de ma vie professionnelle et quelquefois de percevoir des éléments peu « visibles » en leur temps. Cette lecture, je le reconnais aussi ne fut pas parfois sans émotion car leur histoire de vie en formation, celle de deux centaines de stagiaires, aujourd’hui pour une part collègues, fut aussi un peu la mienne et celle de l’équipe pédagogique ; en d’autres termes la nôtre. J’espère enfin que les éléments collectés plus bas donneront à penser et à agir à ceux et celles en charge de gérer et d’animer des formations longues et implicantes à l’université ou en d’autres lieux.

Verbatim

L’analyse des pratiques

Petit retour sur ce qui fut l’occasion de saisir du discours sur ce que fut pour les stagiaires de la Licence professionnelle de formation de formateur.

« J’attends de l’analyse de ma pratique qu’elle me permette d’affronter sereinement les difficultés rencontrées lors des séances de formation » (VHM, 2007).

« Pour le moment, l’analyse de la pratique me parait être un déclencheur d’introspection » (CD, 2007).

« Un petit laboratoire pour partager nos expériences, nos joies, nos anecdotes, nos peurs » (CP, 2007).

« Echanges productifs où l’on se sent moins seul face à une problématique » (F, 2007).

« 1er cours d’analyse des pratiques… je ne m’attendais pas à ça » (N, 2013).

Et son journal de bord dont la devise choisie par Pierre Layat est un vers de François Villon, « hé ! dieu si j’eusse estudié ». Journal de bord qu’il faut considérer au-delà de son usage dans le cadre de l’analyse des pratiques comme un outil d’accompagnement et d’expression de l’individualisation. Mais il est aussi, à sa manière, une rétrospective des activités et un outil d’évaluation à froid d’une expérience au long court pour l’équipe pédagogique.

« Mon cher journal, n’oublie pas que je te fais confiance : alors ne change pas ton regard surtout et continue d’être aussi bienveillant pour toujours faire sortir le meilleur de nous » (A. 2010).

Le groupe

Un élément essentiel de la dynamique des apprentissages même s’il est quelquefois aussi le lieu d’expression de difficultés individuelle et/ou collective. Mais il est aussi un levier d’apprentissage incontournable.

« J’ai vu la force du groupe, son utilité pour aider un membre en difficulté, en attente » (P, 2007).

« Il est réconfortant de pouvoir s’appuyer sur le groupe et partager ensemble nos difficultés, nos angoisses » (F, 2007).

« Ce groupe vit ! C’est une certitude ! Il connaît des joies, des peines, des angoisses et des interrogation » (VD, 2008).

« Oui je le pense profondément notre groupe est une véritable bibliothèque dont les membres constituent des livres aux contenus divers et plein de richesses (M, 2010)

« J’ai envie de profiter de vous, de nous, de ce temps là… qui file » (P, 2013).

« Il est important de souligner combien cette « vie de groupe » est nécessaire »

(VJ, 2013).

Ce qui m’a enrichi, c’est d’avoir pris conscience qu’il est possible de travailler en groupe, je parle d’un vrai travail de groupe avec des échanges constructifs […]. Je dois me faire davantage confiance. Mais je peux également faire confiance au groupe. J’en ai pris conscience » (P. 2015).

« Travailler en sous-groupe n’est pas de tout repos mais c’est un bon exercice qui vous permet de vous ouvrir ». (M, 2018).

« Pensons et avançons ensemble ! » (V, 2018).

« Le groupe est philanthrope, amusant, et éclate de rires comme de doute et de questionnements qui le font grandir » (F, 2018).

Parfois aussi une occasion de conflit

« De quoi nous réconforter dans l’idée qu’il existe peut-être quelque part des groupes sans problème particulier » (P, 2008).

« Et quelques soient les problèmes le groupe en a la gestion » (SD, 2017).

Groupe auquel il faut parfois savoir se soustraire pour se retrouver

« J’étais comme « en grève » de groupe, en repli de la meute […] Je suis ravie de m’extraire ponctuellement du groupe » (A pseudo P, 2008).

« Vis-à-vis du groupe, je sens le besoin de me garder un espace personnel, un petit jardin, pour y faire pousser mon projet, l’aider à grandir […] et le mener à terme »

(P, 2008)

Mais aussi un espace de remise en question de soi et un lieu de tension où se joue une dialectique subtile de construction de soi et de l’autre.

« C’est aussi un challenge, s’adapter au groupe » (S, 2010).

« On se reconnaît ? Non, mieux on se reconnaît » (JM, 2015).

« Que c’est dur d’être dans un groupe ! Appartenir à un groupe, c’est accepter le NOUS dans sa multitude de JE, de TU, de IL […] Le compromis du nous n’est valable et viable que si l’ensemble du Nous le pratique […]. Que c’est bien un groupe ! Le JE découvre qu’il n’est pas seul […] NOUS est nécessaire mais JE est essentiel ! Il ne peut y avoir un NOUS sans les JE » (BL, 2017).

Mais aussi un lieu d’entraide, de solidarité mais aussi de construction en réciprocité et interaction.

Le groupe est là et moi, je vais remercier mon groupe parce que chaque fois que j’ai eu besoin il a été là. A chaque situation compliquée, j’ai pu compter sur lui » (S. 2010)

« Tout simplement parce que l’ouvrage en construction, c’est nous ! » (PR, 2010).

« Heureusement, je ne suis pas seule. J’ai des alliés qui m’aideront quand j’aurai besoin et que j’aiderai s’ils me le demandent » (E. 2011).

Individualisation

Thème assez rarement évoqué et quand il l’est, le collectif n’est pas loin (Freire).

« Travailler seule, mais avec les autres » est source d’enrichissement » (JEMM, 2015).

Ambiance ou le confort pour apprendre

Une nécessité pédagogique qu’il faut savoir provoquer et entretenir (Rogers)

« L’ambiance de travail était propice à la plaisanterie, l’entraide, la coopération, l’écoute et le respect de l’autre » (AF, 2012).

« Il y a un vent de liberté qui nous est offert et dont je bénéficie chaque jour »

(AL, 2013).

« On imagine, on conceptualise, met en œuvre ? C’est l’effervescence »

(J, 2015).

Transformation identitaire

La formation est aussi transformation personnelle, professionnelle et parfois sociale avec ses hauts et ses bas, ses angoisses et ses joies. C’est sans doute l’une des dimensions essentielles de la formation. Les occurrences sont nombreuses et récurrentes au fil des années (Kaddouri).

« Il existe de la place pour tout le monde, à chacun de trouver et développer son identité propre » (P, 2008).

« Se construire une nouvelle identité, un nouveau profil, un nouveau CV, quelle angoisse avant de comprendre et savourer cette opportunité de la réorientation professionnelle » (PN, 2008).

« Le changement identitaire professionnel et personnel me concerne aussi » (Ch., 2008).

« J’ai en un an énormément avancé sur le chemin de ma vie et beaucoup appris » (A, 2008).

« Merci à toute l’équipe pédagogique, merci au groupe avec je pus grandir et m’affirmer comme formatrice » (F, 2008).

« Plus jamais je ne serai comme avant et je ne l’oublierai pas (M, 2010).

« J’ai lutté, j’ai muté, j’ai appris, j’ai « grandi », alors merci qui… MERCI A TOUT LE MONDE » (K, 2010).

« J’ai découvert […] un bien curieux mot : « déconstruire ». Au début, j’ai pris peur. Je me suis dit : « mais qui peut oser dire à un groupe qu’il va se déconstruire ? »

(PD, 2012).

« Je construis peu à peu ma conception du métier, ma nouvelle identité professionnelle » (IL, 2013).

« Déconstruction, reconstruction. Il y a quelque temps, je comprenais seulement le principe. Désormais je le vis » (JSG, 2016).

« Pour devenir formateur, il faudra aussi retenir qu’il faut se déconstruire pour se reconstruire » (BT, 2017).

« Je savais au fond de mon cœur que ce voyage était long et me changerait et qu’à la fin de ce voyage, je verrais les choses différemment » (M, 2018).

Se reconvertir, c’est aussi se donner un second souffle, sortir de la routine du travail et engager un travail de ré-élaboration de soi.

« Pour moi, le risque majeur est insidieux ; c’est l’usure du quotidien »

(E, 2010).

« Je creuse ma réflexion, découvre d’autres auteurs, continue à construire, déconstruire avec moi-même, avec chacun » (TR, 2011).

« Une deuxième vie après une première marquée de sceau de la dévotion à l’entreprise. Une première vie motivée par une faim de reconnaissance et terminée par un manque de sens » (N, 2013).

« Après neuf mois de formation […], je n’ai pas changé… c’est plus que ça… je me suis enfin rencontrée » (EV, 2013).

« Les invitations de la majorité des intervenants à analyser, à s’auto-analyser m’ont souvent bousculée… fait tanguer… au final, j’ai trouvé mon cap ! […]. J’ai le sentiment d’être différente sans pour autant avoir changé. D’être toujours moi, en mieux… » (VJ, 2013).

« Hommes, femmes ensemble pour construire un nouveau métier » (JM, 2015).

« Tous, nous avons évolués » (SD, 2017).

Leçon de vie

Apprendre a aussi pour effet de se regarder et de regarder le monde et les autres d’un œil différent. Mais apprendre vous transforme aussi au moins momentanément.

« J’ai compris que l’important ce n’était pas d’être meilleur que les autres mais d’être meilleur que soi » (S, 2010).

« Rien ne sert de courir, il faut arriver ensemble ! » (K,2010).

« Alors, je m’interroge, qu’est-ce que j’ai fait de ma SPONTANEITE »

(K, 2010).

« Je m’interdis de me l’interdire » (V, 2018).

Intensité du travail

Intensité du travail intellectuel, de l’engagement en formation et leurversussouffrance et effort pour apprendre et tenir la route. On touche là à une dimension transversale du travail intellectuel demandé aux apprenants et de ses difficultés (Dejours).

« Revenez à vos préoccupations immédiates de galériens de la licence pro […] au secours, j’en peux plus » (M, 2008).

« Le fait est que l’euphorie a laissé place à une sourde angoisse, tapis au tréfonds de ma carcasse usée » (PN, 2008).

« Neuf mois sans voir le jour, ouf, je vais bientôt débarquer » (WHM, 2008).

« Ce qui fut un plaisir (pas toujours, mais la plupart du temps) est devenu corvée » (C, 2008).

« L’on devrait voir le bout du tunnel prochainement… ». (E, 2008).

« Allez, au charbon ! » (K, 2010).

« Oui, ça prend du temps l’apprentissage, nous dit-on… mais cela ne doit pas se faire dans la souffrance et à marche forcée, au risque d’altérer le plaisir d’apprendre » (S, 2016).

« En attendant persévérons, nous sommes ensemble sur le front » (SD, 2017).

« J’use mes rames dans cet océan de réflexion » (V, 2018).

Se faire accompagner est aussi nécessaire dans certaines circonstances

Ne pas être seul-e, se faire accompagner par les siens ou un tiers pédagogique, s’entraider, coopérer apparaît comme une nécessité à certains moments du parcours

« La transition n’étant pas aisé, je décide de me faire accompagner » » (A pseudo P, 2008).

« Merci à tous ceux qui m’ont aidée sur le chemin qu’on a fait ensemble »

(S, 2008).

« J’aimerais également remercier tous mes camarades de cette promo pour votre soutien » (D, 2010).

« Ensemble, nous avons affronter les obstacles et nous les avons vaincus »

(M, 2010).

« Mais, mes maîtres mots restent : confiance et coopération » (A, 2010).

« J’étais une adulte, j’aurais pu être en mesure de me poser des questions, de chercher […]. Et, j’aurais souhaité être plus accompagnée » (IL, 2013).

Esprit critique et distanciation

Le travail universitaire a aussi un avers à la médaille, il incite à la réflexion, à ré-interroger ses catégories et ses représentations et du même coup une capacité à interroger les pratiques et les institutions. Autre aspect des transformations engagées.

« Mes cours en ingénierie pédagogique m’auront donné un esprit critique tout nouveau ? Comme on dit : « va y avoir du sport ! ». (P. 2008).

« J’étais venue chercher des réponses, et voilà j’ai encore plus de questions » (K, 2010).

« Le bonheur de prendre le temps de réfléchir et de refaire le monde » (C, 2010).

« Comprendre l’autre / c’est comprendre le monde / c’est me comprendre moi-même » (MM, 2012).

« Les questionnements des uns bousculent mes idées posées, mes liens effectués, mes évidences ; les interventions des autres me poussent dans mes retranchements » (NG, 2012).

Conscientisation

Un moment opportun pour interroger son futur rôle et sa place dans le monde économique et social.

« Ainsi donc en formant des adultes aux compétences, le formateur devient un instrument docile au service de la rentabilité économique et du profit »

(M, 2010).

« Comment puis-je me reconnaître en tant que personne libre et responsable dans le métier de formateur face aux injonctions institutionnelles ? » (A, 2011).

« La politique emporte tout sur son passage, et il me semble bien que nous, les formateurs, risquons de devenir les instruments de cette mascarade ! »

(FS, 2012).

« Ode à toi, splendide micro-république autoproclamée, autodirigée de futurs formateurs » (A, 2015).

« J’ai quitté le formatage d’une entreprise contre une formation qui me redonne la forme » (GP, 2015).

Le pari sur soi et ses capacités

Se former à tout âge, se confronter aux savoirs universitaires et à ses concepts exige un effort de volonté. Il s’agit pour quelques-uns de relever un pari sur soi surtout si l’université se présente pour la première fois à vous après un parcours scolaire chaotique. L’institution porte ses propres appréhensions.

« Je regrette de n’avoir pas osé plus tôt » (G, 2008).

« La peur de ce qui va venir, la peur du groupe, du travail à faire » (CR, 2010).

« Je suis vidée… j’ai eu un peu peur quand même… mais je ne regrette rien » (X ?,2010)

« Reprendre les études à plus de 55 ans me paraissait d’une part assez osé et de l’autre encourageant » (FK, 2014).

« Je suis venu, j’ai vu, vais-je vaincre ? » (Y, 2018).

Douter de soi et de ses certitudes

Interrogation sur soi, sur ces acquis, ses buts, se remettre en cause face à de nouveaux enjeux sont aussi à l’ordre du jour.

« Etre soi : plus ou moins tard, les masques finissent par tomber […] Faire preuve de sérieux sans se prendre au sérieux » (JPC, 2012).

« J’ai développé ce que j’appelle un complexe de légitimité. Bien qu’experte sur le métier, j’ai développé, étrangement ce complexe » (VJ, 2013).

« C’est paradoxal, je ne sais pas vraiment où je vais mais je pense savoir pourquoi j’y vais ! » (N, 2013).

« Il est normal à un moment donné d’être dans une phase de floue […]. En revanche, et c’est étonnant, malgré tous ces désordres intérieurs, chacun avance à son rythme, avec ses priorités, ses préférences » (IR, 2015).

Apprentissage

Le temps de la formation est aussi un temps pour apprendre. Apprentissage dont la richesse rend parfois une appropriation faite de déséquilibre piagétien.

« Tant de choses se sont produites […] riches de connaissances, bien au-delà de ce que je venais chercher » (F, 2008).

« Je ne suis pas chamboulée, non, je ne dirai pas ça, j’ai juste la tête en vrac » (A, 2010)

« Dernière ligne droite avant le dernier partage de savoir » (C, 2010).

« Tout ce qui est dit n’est pas su » (CR, 2010).

« Apprendre par la succession, par le croisement des vécus » (JT, 2010).

« Remplir mon cadre de références, c’est fort intéressant ! Pourvu que j’y trouve des réponses dans mon cahier de brouillon qui me sert de cerveau en ce moment »

(AG, 2011).

« Un ressac des apprentissages, mais, contre vents et marées, maintenir le cap, atteindre son idéal rivage » (VJ, 2013).

Apprendre aussi de soi et des autres dans une dialectique subtile et dynamique à la Paolo Freire

« Je continue d’apprendre de moi […]. Je prends conscience du laboratoire de pédagogues que nous sommes […]. Pour conclure, je dirai que nous nous apprenons à travers nous-même et surtout grâce aux autres, tous les autres » (CBV, 2012).

« Rien n’est simple ! On désapprend pour apprendre » (Anonyme, 2015).

« Quelle culture, quelles découvertes et que de remise en question ! […] On ira jusqu’au pour profiter, profiter et profiter » (F, 2018).

Pédagogie de l’erreur, maîtrise du jargon et apprentissage du métier

Un métier nouveau à ses techniques, son jargon, ses limites, autant de réalité à intégrer

« Il y a aussi eu des beaux dérapés, dérapages ratages et autres abandons de nos stagiaires » (DB, 2010).

« Je suis en train de traverser le monde merveilleux « du conflit sociocognitif de l’apprentissage ! » (A, 2011).

« Mind mapping, cartes heuristiques, iconographie cérébrale ou imagerie médicale ? C’est confus et d’aspect peu attrayant » (NM, 2011).

« Un terrain d’expérimentation dans lequel l’erreur peut encore avoir sa place sans faire de gros dégâts » (MCL, 2011).

« Youpi, je commence à comprendre ce que former veut dire […]. Cela dit j’ai encore des milliards de chose à apprendre, c’est même de pire en pire » (NG, 2012).

« Rester avec ce sentiment d’impuissance, de la limite de l’exercice de formateur-accompagnateur » (AL, 2013).

Posture

Trouver son genre et son style, sa façon d’être formateur en lien avec sa personnalité et son éthique de l’action (Clot).

« A chacun de devenir le formateur qu’il veut être, avec son identité et ses valeurs » (R, 2012).

« Prendre ou laisser » la place à l’autre en respectant la légitimité de chacun »

(VJ, 2013).

« Mais toutes les techniques du monde ne parviendront jamais à dissimuler qui nous sommes, le sens que nous mettons dans notre démarche » (N, 2013).

« La posture, l’attitude du formateur est un ingrédient majeur du déroulement de la séance et de la « réceptivité » des stagiaires » (M, 2017)

Pédagogie active

Une pratique en formation des adultes pas toujours partagée en stage ou ailleurs ce qui n’est pas sans questionner le réel du métier, ses résistances et ses limites aujourd’hui (Dejours).

Elle m’aborde pour me dire qu’il serait temps que j’apprenne à faire des cours, qu’on ne peut pas s’amuser tout le temps ! » (AD, 2011).

« L’aspect très scolaire des apprentissages, je finis par me demander si on peut vraiment y échapper, ça m’inquiète » (P, 2013).

« Nous retournons dans la salle précédente et prenons une posture de « maîtresse d’école » à contrecœur » (A, 2013).

« Notre peuple, chers amis Apprentis-Formateurs, lutte depuis maintenant 5 mois contre la tyrannie du Savoir prédigéré, du dictat du transmissif et de la violence du Power-point » (A, 2015).

« Je propose une cure de « péda-goji », quelques baies anti-oxydantes pour ne pas que s’oxyde tout ce que nous avons appris » (GP, 2015).

« Les méthodes actives, le dialogue, la coopération entre les individus peuvent-ils suffire au spectacle pédagogique » (A, 2016)

Evaluer ou être évaluer

La question centrale de l’évaluation affleure et interroge autant comme évalué que comme futur évaluateur. Une réflexion aux accents kantiens.

« Evaluer […] représente une forme de pouvoir dont il faut user avec discernement » (JPC, 2012).

« Evaluation […]. Cela m’amène à penser que chaque mot doit être pesé, et doit avoir un but constructif » (EV, 2013).

« Dis les choses comme tu aimerais qu’on te les dise à toi-même » (EV, 2013).

« C’est vérifier, la satanée correction au stylo rouge peut provoquer une émotion de la même « couleur » chez les destinataires » (M, 2016).

Ecrire pour satisfaire aux exigences de l’exercice universitaire

Le passage à l’écrit, la menaçante feuille blanche face aux exigences institutionnelles mais qui à terme donne sens au parcours de chacun-e

« Que mon crayon prenne ma pensée de vitesse » (S, 2010).

« Déposer des mots comme des briques éparses » (JT. 2010).

« Ecris, Ecrit, Et crie » (A, 2010).

« L’écriture permet de mettre en place une pensée, c’est comme un mécano géant, comme si tous les rouages s’enclenchaient et soudain se mettaient à tourner tous ensemble comme une machine harmonieuse » (F, 2016).

Vertige

L’université, c’est aussi, un monument de connaissances qui peut effrayer.

« Toutes ces bibliographies si appétissantes mais si vastes… j’ai le vertige » (P, 2013).

Persévérer

Il convient aussi sur la longue route de la certification de persévérer, d’entretenir sa motivation, de croire en ses capacités (Bandura).

« Courage, l’effort à fournir est tout petit par rapport au chemin déjà parcouru » (D, 2008).

« Il y a des jours avec, des jours sans… mais la plupart du temps, j’atterris sur mes pieds » (F, 2010).

Renoncer pour un temps

Se former implique aussi quelques sacrifices ponctuels de ses entourages, de ses amours. Une antienne bien connue dans le monde de la formation des adultes.

« J’EN AI MARRE DE NE PLUS VOIR MON MEC ? MES GOSSES ET MES COPINES ! (S, 2010).

« Je ne veux plus manger « formation », je ne veux plus boire « formation », je ne veux plus rêver « formation » (I, 2011).

« Je pense désormais ressentir ce qu’une oie de Sud-Ouest ressent lorsqu’on la prépare à devenir du foie gras » (CR, 2012).

« Assez ! Je n’en peux plus ! C’est quoi cette Université ? La corne d’abondance ? Une orgie ? Je suis repue… tant, trop de savoirs à assimiler » (NG, 2012).

Vivre et se quitter

La formation terminée il faut aussi savoir reprendre le chemin, celui qui conduit à un autre monde parfois moins serein même si l’aventure fut belle.

« Je voudrais appuyer sur la pédale du frein pour ralentir le temps. Cette année fut vraiment riche en expérience […]. Bientôt ce sera la plongée dans l’inconnu » (A, 2013).

« Cette formation, c’est avant tout une aventure humaine, la vie d’un groupe et de ses membres […]. Je ne sais pas si c’est la fin d’une aventure ou le commencement d’une nouvelle, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Je ne sais pas si c’est le début ou la fin mais en tout cas, c’était sacrement bien » (NV, 2013).

« C’est toujours pareil, c’est toujours vers la fin qu’on commence à s’amuser et qu’il faut partir » (F, 2016) ;

« CLOTURER CETTE ANNEE EPROUVANTE EN UNE BELLE ANNEE ENRICHISSANTE » (S, 2017).

Clap de fin, mais aussi du bonheur et de la joie d’être arrivé à bon port.

Une transformation de soi s’est joué, consciente ou non, mais la transformation est au rendez-vous-même si elle implique de quitter l’illusion groupale et les amitiés qui parfois, heureusement, dures.

« Merci par avance de votre collaboration à ma gestation » (CR, 2010).

« J’ai hâte que cela se termine mais vous allez me manquer » (D, 2010).

« Alors comment allons-nous « gérer ce temps sans vous » (PL, 2010).

Une nouvelle aventure commence alors

« C’est la fin, tout est à venir […]. Et puis c’est aussi une parenthèse hors du monde qui se termine » (JT, 2010).

« Sur le seuil d’une nouveauté choisie, tout est possible » (J, 2010).

« Mais quel bonheur d’ETRE UN FORMATEUR ! » (CR, 2010).

« Le plus dure reste à venir… Demain je deviens FORMATRICE ?! »

(MCL, 2011).

« Profitez de tout, du groupe, des formateurs, des textes pédagogiques […]. Cette licence n’est pas un simple diplôme, c’est une porte ouverte » (F, 2018).

Conclusion

Ainsi les problématiques autour de l’accompagnement et de l’individualisation, que je pensais très présentes apparaissent assez peu. En revanche la place du groupe semble une dimension essentielle au cheminement de chacun ce qui renforce à mes yeux l’importance de la dimension collective voire socioconstructiviste des apprentissages. L’ensemble de ce corpus montre aussi la richesse des sentiments, constats, difficultés, transformations, questions, joies, pleurs, réussites… qui se jouent pour chaque individu et pour le groupe durant cette aventure collective.

Une telle collection de témoignages offre un reflet du vécu en formation des adultes, certes partiels mais toutefois signifiant pour les formateurs qui mirent en scène le parcours intellectuel des stagiaires. Mise en scène qui bien vite leur échappe dans un processus d’appropriation et de transformations de la formation et de ses attendus par les stagiaires eux-mêmes. En d’autres termes, et c’est sans doute ce qui m’a (nous) motivé durant tant d’année, faire en sorte pour paraphraser une formule célèbre, que la formation et la transformation des apprenants soit l’œuvre des apprenants eux-mêmes.

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