Tagore pour une « n’autre école »

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Tagore pour « Une n’autre école » ?

« J’ai tenté de fondé une école

où les enfants pourraient être libres malgré l’école ».

Il s’agit d’une anthologie de textes sur l’éducation du philosophe et poète indien Rabindranath Tagore, peu connu en Europe tant pour son œuvre que pour ses textes sur l’éducation écrits entre 1892 et 1930. Elle a été réalisée par N. Baillargeon et C. Santerre sous le titre Une école sans mur qui n’est pas sans rappeler Une société sans école Yvan Illitch. Tagore ne se contenta pas de « théoriser » l’école, mais grâce à sa fortune en créa une en 1901 « La demeure de paix » à Santiniketan à 160 km de Calcutta, bientôt suivi d’une université. Tagore sans être libertaire était selon les auteurs « proche de certains courants […] qui favorisent l’autogestion et les coopératives ». Abolitionnistes en matière de castes, il apparait donc, toute mesure gardée, comme un Tolstoï indien y compris dans sa dimension spiritualiste.

Néanmoins, par bien des aspects sa conception de l’éducation rejoint celle des libertaires, son texte Mon école (1919) en témoigne. Pour lui aussi l’école « est une machine spécialement conçue pour fabriquer des individus pareils les uns aux autres ». Il poursuit : « c’est pourquoi ce formatage m’est apparu absolument intolérable ». De fait l’école traditionnelle éloigne l’enfant de la nature, elle « vole à l’enfant sa terre pour lui apprendre la géographie, sa langue pour lui apprendre la grammaire ». De plus comme en pédagogie Freinet ou avec Korczak les enfants ont « leur place et leur rôle à jouer dans la gestion de l’école et, en ce qui concerne les punitions, nous nous en remettons essentiellement à leur propre cour de justice ». Enfin tout comme les anarchistes, il préconise une école de la liberté par la liberté. « Je crois, écrit-il, que l’objet et la fin de l’éducation est la liberté de l’esprit qui ne peut s’atteindre que par les chemins de la liberté, et cela même si la liberté, comme la vie elle-même, comporte des risques et des responsabilités ».

Dans De l’éducation et de ses problèmes, il dénonce un peu à la manière Oury/Pain les écoles casernes du colonialisme britannique. Pour lui, « ce que nous appelons une école dans ce pays est en réalité une usine […d’où les élèves rapportent le soir] quelques pages de savoirs manufacturés » En d’autres termes, « les écoles ne sont guère mieux que des usines à produire des robots » où les enfants sont coupés de leur lien avec la nature. Comme Roorda, il dénonce la maltraitance scolaire des corps et des esprits. « Comme nous faisons souffrir la jeunesse, écrit-il, en enfermant l’éducation derrière des murailles et en la barricadant derrière des grilles sous l’œil d’un gardien » ! Et tout comme Faure à la Ruche, il prône l’autosuffisance de chaque école. Pour Tagore « il devrait y avoir une petite étendue de terre que les élèves aideraient à cultiver et qui fournirait de la nourriture à l’école ». Ailleurs dans Vicissitudes de l’éducation, il dénonce l’inutilité du « par cœur » en particulier pour les jeunes bengalis en matière d’apprentissage de l’anglais. « Nous ne pouvons, écrit-il, assimiler le texte qu’en apprenant par cœur, par routine, sans comprendre, ce qui revient à avaler de la nourriture sans la mâcher ». Tout comme Guillaume, il considère aussi qu’il faudra dire à l’enfant « de ne pas toujours sans remettre à sa mémoire et lui fournir de nombreuses occasions de penser par lui-même et de se servir de son imagination ».

Un autre texte L’école d’un poète précise la pensée de Tagore en matière de pédagogie. Texte où il condamne l’école colonialiste en ces termes : son but « était la continuelle conversion des non civilisés ». Ne retrouve-t-on pas le même esprit chez Falloux et son projet de moraliser la classe ouvrière ou encore celui de Ferry visant à transformer l’enfant en petit soldat de la République bourgeoise ? Tagore crée une école hors les murs donnant aux enfants « l’occasion de trouver leur liberté dans la nature […]. Parmi les sujets enseignés en plein air, à l’ombre des arbres, étaient la musique et la peinture » : des modalités pédagogiques parallèles aux sorties organisées par Robin et Freinet. On y retrouve aussi la même préoccupation que chez Faure, par exemple, de développer autant la main que le cerveau. Il souhaite qu’une éducation : « tenant compte de l’unité organique de l’individu et nécessitant un stimulant de toutes les facultés, corporelles aussi bien que mentales ». Autre parallèle avec les penseurs de l’école de la liberté, Tagore dénonce, tout comme Ferrer les pratiques de décervelage, en l’espèce celle les missionnaires. « Animés d’une fierté sectaire, écrit-il, tout en professant une fraternité universelle, ils emploient des textes d’école qui empoisonnent les jeunes esprits influençables. J’ai cherché à protéger nos enfants de ses aberrations ». Ainsi, déplore-t-il en 1924, dans Aux enseignants que l’enfant « soit assujetti à la fabrique de l’éducation, sans vie, sans couleur, dissocié du contexte l’univers, entre les murs blancs et nus, fixes comme les yeux des morts ». Il met alors en garde les éducateurs « qui croi[ent] aux leçons préfabriquées plutôt qu’aux leçons de vie, ce qui non seulement nuit au développement de l’esprit de l’enfant, mais le gâche forcément ». Il souligne dans L’art du mouvement en éducation combien le corps est essentiel aux apprentissages en particulier pour tout ce qui touche à l’expression et à la réflexion. « C’est en allant à l’école que nous commettons nos premiers faux pas. Là, nous sommes obligés de penser assis ». Roorda partageait ce point de vue. Il ajoute « que si le corps était actif dans toutes ses fonctions, nous pourrions apprendre d’autant plus ».

Le regard de Tagore ne concerne pas seulement l’enseignement primaire. Sa critique porte aussi sur l’Université coloniale qui ne visait qu’à « produire les porteurs du fardeau de l’homme blanc ». Il affirme encore dans le texte intitulé Une université orientale, cette fois de manière générale : « jamais les universités ne devraient se transformer en organisations mécaniques pour recueillir et distribuer le savoir ». Il préconise une université ouverte à toutes les cultures et à l’esprit critique et rappelle une règle absolue « que nous sommes, écrit-il, enclins à oublier, c’est qu’un maître ne peut jamais enseigner s’il ne continue pas lui-même à apprendre ». En bref, il s’inscrit comme bien d’autres éducateurs (Condorcet, Proudhon, Freire, Schwartz…) dans l’utopie de l’éducation permanente.

À contre-courant de son époque et de la nôtre, il déplore que par l’éducation donnée « l’unique désir que l’on a cultivé dans le cœur des enfants a été l’ambition de réussir dans le monde et pas celui d’atteindre un certain degré intérieur de perfection et de parvenir à la liberté ». Tout pédagogue libertaire peut se retrouver dans un tel propos ?

Étonnantes convergences en matière d’éducation entre l’indien Tagore, le russe Tolstoï le catalan Ferrer, les Français Robin et Faure ou encore le néerlando-suisse Roorda. En fait rien d’étonnant à cette internationale de l’éducation et aux idées communes qu’elle affirme : simplement un souhait partager de permettre aux individus de devenir des humains fiers et libres en capacités de choisir leurs voies (voix) et d’agir sur le monde en conscience.

L’ouvrage se clôt par un entretien avec le prix Nobel Amartaya Sen qui fut élève à l’école de Santiniketan. Il confirme l’esprit de liberté qui régnait dans « l’établissement ». Il déclare : « je me souviens de ces années comme ayant été de merveilleuses années d’école. J’appréciais beaucoup le fait que j’apprenais des choses et que je le faisais, guidé par ce qui m’intéressait ».

Tagore R., 2021, Une école sans murs, Québec, Ecosociété

Pour en savoir plus : film sur Tagore :

http://www.meirieu.com/EDUCATION%20EN%20QUESTION/tagore.mp4

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