Hommes et femmes lecteurs, observation dans les transports publics

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Femmes lectrices et Hommes lecteurs ?

Une observation dans les transports publics

J’ai réalisé ce travail d’enquête suite à mes travaux sur inégalités Femmes et hommes en situation d’illettrisme pour l’ANLCI en 2010-2011[1]. Ces derniers m’engageaient à mieux tenter de comprendre l’écart constaté entre les hommes et les femmes en matière de lecture. A cette fin, je me suis livré à une petite recherche empirique afin de vérifier si ce même écart se constatait aussi entre femmes et hommes ne relevant pas de cette caractéristique. De plus, cette poursuite du travail s’inscrivait dans mon souci permanent de ne pas stigmatiser les adultes en situation d’illettrisme et donc de vérifier que le différentiel homme/femme est un phénomène général. J’ai donc entrepris des observations directes dans les transports en commun en Ile-de-France, essentiellement le métropolitain et plus particulièrement sur les lignes que j’emprunte pour me rendre sur mes lieux d’intervention professionnelle et donc en fonction de mes heures assez variées de déplacement. Ces observations ont été effectuées entre mars et décembre 2011 avec une interruption du 15 juillet au 1er septembre.

Ces observations portent sur 39 allers simples et 69 allers et retours soit 177 voyages effectuées le matin, le midi, le soir donc avec des lectorats différents car il m’a été facile de constater que très tôt le matin (avant 7 heures) l’on trouve moins de lecteurs-lectrices qu’après et que le soir au retour du travail les lecteurs-lectrices se font plus rares. Les observations ont toujours été faites en dehors du week-end afin de conserver un type de lectorat « homogène ». L’hypothèse (à vérifier)  étant que les lecteurs et lectrices de fin de semaine sont pour une part différents.

Les lignes de métro empruntées où furent faites les observations sont la 1, 2, 3, 4 5, 6, 7, 8, 9, 12, 14, mais la 2 et la 5 plus que toutes les autres, ainsi que dans le RER A et plus rarement le E ou encore marginalement dans le train en direction des Mureaux (78).

Certes, les constats faits durant ce travail doivent être pondérées car les horaires, les lignes fréquentées ne sont pas absolument représentatives de tous les utilisateurs des transports parisiens, ce qui pourrait constituer un biais. Mais pour autant les horaires et les lignes utilisées relèvent de temporalité et de lieux assez populaires. Soulignons, aussi que la ligne 5, par exemple, observe des arrêts en 3 gares parisiennes et favorisent des flux de voyageurs issus des banlieues populaires tout en possédant des stations dans des points centraux de la Capitale. Notons toutefois que certains trajets, quelques soient les heures, connaissent plus de lecteurs et lectrices que d’autres du fait des sociologies de leurs dessertes. C’est le cas par exemple de la ligne A du RER qui dessert à la fois La Défense à forte concentration de cadres et l’université de Nanterre.

Durant ces comptages quotidiens, j’ai fait le choix d’écarter ceux et celles que j’appelle des lecteurs « opportunistes » à savoir ceux et celles qui lisent les « gratuits » distribués en masse à Paris, d’une part parce part parce qu’il y a impossibilité à les comptabiliser tant leur nombre est élevé mais surtout parce qu’ils et elles n’ont pas fait un acte volontaire d’achat d’un support de lecture. L’hypothèse, non vérifiable à ce jour, est que le nombre de ces lecteurs et lectrices se réduirait très massivement si cette presse était amenée à disparaître. J’ai aussi exclu de mon échantillon les lecteurs « contraints » en particulier les scolaires utilisateurs de manuels scolaires, les lecteurs de codes de la route ou encore ceux de revues de presses professionnelles. Je n’ai pas non plus enregistré les lecteurs de guides touristiques  ni les utilisateurs de tablette dans l’impossibilité de savoir si ces derniers lisaient, jouaient, communiquaient, tweetaient… ou encore les joueurs de mots fléchés et autres Sudoku malgré un acte d’achat fréquent.

A noter, la disparition ou presque, effets de gratuits et/ou d’internet ( ?), des quotidiens comme Le Monde, Libérationou encore l’Humanité. Le Parisienest encore quelquefois visible comme L’Équipe, surtout le lundi ou encore le mercredi Le Canard enchaîné. La presse dite féminine, quant à elle, apparaît au gré des rythmes de parution. Sorties en kiosques qui augmentent sensiblement ces jours le nombre des lecteurs et lectrices.

Ces observations directes, de visu furent effectuées dans mon environnement immédiat durant mes voyages. J’ai choisi dans le lectorat observé de prendre en compte deux types de supports : la presse (quotidienne et/ou magazine) ainsi que les livres. Pour ces derniers sans opérer de distinction ni de hiérarchie entre les polars, les romans, les bandes dessinées, les livres savants…

Selon les heures, les jours et la durée de mes trajets, donc de mes observations, le nombre de lecteur-lectrices dénombrés peut varier sensiblement.

J’ai constaté aussi que très rares étaient les voyages sans femmes lectrices de l’un ou l’autre support 3 sur 177, 3 sans livres et 14 sans journal ou magasine. Conclusion, quelques soient les jours ou les heures, il y a à peu près toujours des lectrices. Pour les hommes, 7 voyages sans aucuns lecteurs, proportionnellement le double de celui concernant des femmes mais sans grande signification à mon sens. Les lecteurs hommes sans livres sont présents dans 18 voyages et sans journaux lors de 16 voyages. Conclusion une proportion plus importantes de voyages sans lecteurs de l’un ou l’autre support. Au demeurant, les transports urbains sont de factoun lieu et un temps de lecture pour certaines femmes et certains hommes

Mes observations ont concerné un échantillon aléatoire conséquent. Au total, il porte sur 1215 personnes adultes observées en situation de lecture.

Nombre hommes total : 508, nombre femmes total : 707

Constat numéro 1 : les femmes sont plus nombreuses à lire dans les transports publics. Un différentiel de 14 points sépare les deux sous-échantillons ce qui est considérable.

Pour les hommes, la répartition entre les lecteurs de presse et de livres est assez peu marquer : les hommes livres étaient 272, les hommes journal : 236

Constat numéro 2 : les hommes sont un peu plus lecteurs de livres que de journaux mais dans proportion moindre que les femmes (voir ci-dessous). Différentiel 12 %.

Les femmes livre quant à elles étaient 551 et les femmes journal au nombre de 156 avec un différentiel considérable de 56 %.

Constat numéro 3 : une nette préférence des lectrices, au moins dans les transports publics,  pour le livre contrairement à une représentation selon laquelle les femmes seraient plus attirées par la presse féminine voire « people ». Ce que le graphique suivant illustre bien

Constat numéro 4 : sur l’ensemble de l’échantillon lecteurs et lectrices de journaux et magasines, les hommes représentent 60% du total.

 

Aux vues de ces résultats les femmes sont plus lectrices que les hommes dans une population non critérée, hormis l’usage des transports publics, ce qui confirme du même coup que les populations réputées en situation d’illettrisme, hommes et femmes, en ce qui concerne la lecture, ont des usages de la lecture sexuée mais de fait très proche de la population générale.

Reste à savoir pourquoi ? En milieu « illettrisme » nous avions constaté[2] que le rapport à la lecture était lié très souvent aux obligations sociales et domestiques des femmes qui les contraignaient, les incitaient à entretenir un lien avec la lecture et l’écriture (CAF, école, scolarité des plus petits enfants, Pôle-Emploi…). En ce qui concerne les femmes observées dans les transports parisiens, je formule les hypothèses suivantes, assez crédibles semble-t-il pour mon entourage féminin mais qui mériteraient toutefois d’être validées. La première, les femmes seraient plus lectrices à l’occasion des déplacements parce que ce temps est un temps qui (enfin) leur appartient, un temps hors des contraintes domestiques et/ou encore professionnelle, les femmes se déplaçant étant en termes de probabilité assez largement salariées. Temps disponible leur appartenant et mit à profit pour se divertir, se cultiver voire se reposer… La seconde, elles seraient aussi lectrices, pour une part d’entre elles, pour se protéger, s’isoler du regard des hommes, en d’autres termes éviter des contacts non désirés, fussent-ils visuels. Quant à savoir pourquoi les hommes lisent dans les transports, les raisons sans doute comparables à celles des femmes : un temps à soi et pour soi mais aussi peut-être pour s’isoler… même si les raisons de cette recherche d’isolement ne sont pas exactement celles de certaines femmes.

Une question reste posée : peut-on généraliser ces résultats à tous les hommes et toutes les femmes ? Difficile de l’affirmer. Néanmoins, sur deux segments de population, certes très différents, on constate que les femmes sont plus lectrices. Pourquoi en serait-il autrement dans le reste de la population ? Certaines quantifications sur le rapport à la lecture selon le genre confirment par ailleurs cette hypothèse.  Selon une enquête lecture de 2007, « le rapport des adolescents à la lecture est très clivé selon le sexe : les garçons lisent moins que les filles »[3].  Dans les populations lycéennes ou collégiennes, « les filles lisent plus que les garçons : 81% des filles répondent positivement à cette question contre 71% des garçons (…). Les garçons sont relativement plus nombreux que les filles à ne jamais ou presque jamais lire de magazines ou de journaux (19% contre 11%) ». Et « 32% des garçons ne lisent jamais ou presque jamais, contre 20% des filles, (et) 20% des filles lisent tous les jours ou presque contre 13% des garçons »[4]. Clivage de genre confirmé pour les adultes « les hommes lisent moins, 38 % de non-lecteurs contre 25 % de non-lectrices ; ces chiffres n’ont cependant rien à voir avec le fait que ces dernières soient « plus nombreuses à ne pas travailler», car « 33 % des femmes au foyer sont des non-lectrices »[5].

 

Enfin, il est probable que le nombre de lecteurs et lectrices ait déjà décru, y compris dans les transports parisiens, à la fois à la suite d’un intérêt moins marqué de la population pour les quotidiens nationaux, la diminution régulière du nombre de « grands » lecteurs-lectrices, en bref la perte croissante du lire malgré un petit renouveau (effet de mode ?) lié aux tablettes électroniques. Mais surtout du fait de l’utilisation proche de l’addiction des téléphones portables qui « occupent » un nombre croissant de voyageurs voire les enferment dans des formes relatives d’autisme social.

 

Hugues Lenoir

Université Paris Ouest

 

 

 



[1] Egalité hommes/femmes et illettrisme, 2011,à consulter sur le site de l’ANLCI.

[2] Voir H. Lenoir, Egalité hommes/femmes et illettrisme, 2011, op. cit.

[3] Enquête lecture « Centre national du livre / Direction du livre et de la lecture » réalisée par Ithaque. Juin 2007.

[4] Ibid.

[5] Sources : TNS Sofres in Actualitté, les univers du livre, 13 mars 2008.

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