VAP-AFPA-2001
 VALIDATION DES ACQUIS :
d’une typologie intuitive à une représentation construite
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Nous savions d’expérience que l’usage de la Validation des acquis professionnels et de l’expérience sociale relevait de parcours d’expérience et d’histoire de vie très contrastés. Si nous affirmions que chaque quête de validation renvoyait, et, était à la fois un cheminement singulier, nous avions fait émerger malgré tout de nos pratiques une typologie empirique. Il s’agit bien ici d’un nous collectif dont les constats sont les résultats des discussions et d’échanges de divers groupes de travail inter-universitaire auxquels j’ai participé sur la mise en Å“uvre du décret de 1985 et de la Loi de 1992. Nous avions élaboré quelques portraits types d’adultes ayant choisi de tenter une validation des acquis et d’user d’un droit très (trop !) confidentiel : droit formel de peu d’usage, à plusieurs encablures d’un droit réel pour tous.
Notre observation “sauvage” nous amenait, dans le cadre d’une “sociologie intuitive”, à considérer sept types d’usagers. Classiquement pour ces derniers, la validation des acquis professionnels s’inscrit dans le contexte socio-économique du moment. Elle s’articule donc étroitement à une logique d’emploi dans le cadre d’une exigence toujours plus forte de qualification et de certification. La VAP mobilise fréquemment des adultes en phase de reconversion ou en recherche de promotion sociale. Elle s’offre comme une solution possible dans une tentative de déprécarisation, elle apparaît comme un atout de plus lors d’une recherche d’emploi. La VAP est souvent aussi un moyen, un artefact pour se faire reconnaître et/ou s’asseoir et se conforter dans une position sociale déjà occupée mais fragile. Elle est encore une occasion de se réengager dans un parcours de formation soit pour des femmes souhaitant reprendre une activité salariée suite à l’éducation d’enfants, soit de jeunes[1] aux parcours riches mais souvent chaotiques et toujours incomplets. Elle est enfin déconnectée de toute logique utilitariste, une vraie expérience d’éducation permanente – même si l’on en profite pour capitaliser ses acquis et raccourcir son parcours – en bref, une reprise d’étude pour le plaisir. Il s’agit donc bien d’une procédure à usages multiples dans le cadre d’une stratégie qui place l’individu au centre de son projet.
Pour en savoir plus, j’ai décidé de conduire, durant l’année 2000, une recherche sur les usages sociaux de la validation des acquis[2]. Je n’ai pas essayé de valider cette typologie qui m’apparaît assez juste – et que mon travail d’enquête pour une large part confirme – mais à mieux connaître les usages et les attendus individuels du recours à la VAP. Ce sont les quelques résultats synthétiques de ce travail – qu’il convient donc de nuancer – que je vais présenter ici brièvement maintenant. J’ai choisi trois usages/effets de la VAP qui me semblent les plus significatifs. Ils concernent une population relevant de la validation des acquis professionnels dans l’enseignement secondaire, loi de 1992.
Un usage dominant pour la population enquêtée fait apparaître la VAP comme un outil de lutte face à la précarisation du travail et de résistance individuelle à la crise. Elle permet de se conformer à la norme sociale du diplôme et de la qualification certifiée, d’obtenir une meilleure – mais toute relative – protection grâce à un premier titre ou à un titre supérieur. Par ses effets, elle conforte dans l’emploi lorsque celui est présent et en facilite la recherche en cas de chômage. Si elle s’inscrit quelquefois dans une recherche de promotion sociale et d’amélioration salariale, cet usage n’était pas dominant lors de la réalisation de l’enquête, d’autant que le contexte économique n’incitait ni à la reconnaissance des uns, ni à la mobilité des autres. Néanmoins, les usages de la validations des acquis s’inscrivaient bien dans une logique prégnante d’employabilité dans un environnement incertain, voire menaçant.
La validation a dans le même temps des effets importants sur les représentations de soi. Elle participe très largement à un processus de restauration narcissique. Après la VAP, on est plus fort. Plus fort et plus “certifié” face à la concurrence, jugée inquiétante, des jeunes qui arrivent sur le marché du travail toujours plus diplômés. Il s’agit de se refaire une image de soi, de son niveau et de sa valeur, de la qualité de son expérience professionnelle pour mieux vivre avec ces nouveaux arrivants. Il s’agit aussi de rassurer, surtout en période de chômage et dans quelques cas de pouvoir renégocier les clauses de son contrat de travail. Si elle permet de mieux se connaître soi-même, de mieux faire valoir les compétences professionnelles acquises dans et par l’expérience, la VAP dépasse cette dimension puisqu’elle autorise aussi à mieux se reconnaître. En effet, le travail d’auto-validation et d’auto-évaluation attesté par un tiers d’autorité, au-delà de positionner sur l’échelle des diplômes et de se donner une nouvelle légitimité aux yeux de l’employeur ou des collègues, favorise l’émergence d’une nouvelle image de soi et engage un travail de revalorisation du sujet, il brise la spirale dépréciative du travail déqualifié ou du chômage.
Ce travail sur soi engagé dans le cadre de la validation fait émerger un certain nombre de constats. D’abord que les savoirs s’usent avec le temps, que l’obsolescence guette les savoir-faire les plus anciens mais que ce travail d’usure – pour peu que l’activité ne soit pas trop taylorienne – est largement compensé par les savoirs acquis lors de situations professionnelles plus récentes. La VAP est alors un moyen de prise de conscience des savoirs mobilisés dans l’action et souvent issus de l’expérience elle-même. Elle favorise ainsi la mise en lumière des savoirs incorporés et leur formalisation, une meilleure compréhension de ses mécanismes cognitifs et la révélation de ses savoirs cachés dont la valeur sociale et la reconnaissance sont au cÅ“ur du processus de validation. Non seulement la dynamique de validation est en soi formative parce ce qu’elle déclenche chez le sujet mais elle apparaît aussi comme le moteur ou l’outil de relance, des processus d’apprentissage. En d’autres termes, elle met le sujet, ce qui est considérable et essentiel pour la poursuite du parcours, en posture d’apprenance[3]. Elle est un levier capable de soulever la montagne des savoirs.
Ce constat partiel des usages et des effets de la VAP par et sur les individus est aujourd’hui à réinterroger. Mêmes si certains d’entre eux peuvent sembler pérennes d’autres non – au moins pour les actifs qui n’appartiennent pas au noyau incompressible de chômeurs – et la “sortie de crise” modifiera certains usages ou en fera naître de nouveaux. La VAP et la VAE demain favoriseront peut-être l’émergence d’un nouveau rapport de force entre le Capital et le Travail qui permettra de mieux négocier sa qualification et sa classification, de choisir sa mobilité et de refuser des emplois déqualifiés. En bref, de faire de la validation une véritable occasion de reconnaissance et de promotion sociale, de maîtrise de son parcours professionnel.
Au-delà , la Loi de modernisation sociale et son volet “Validation de l’expérience”, les modifications attendues du Livre IX du Code du travail en favorisant peut-être une égalité réelle d’accès à la formation et en offrant une deuxième chance à la deuxième chance feront éclore, à n’en point douter, de nouveaux usages sociaux de la validation. L’aventure de la validation ne fait que commencer, “ce n’est qu’un début, continuons le…”
Hugues LENOIR
CEP-CRIEP, Paris X
[1] Dans le cadre des textes réglementaires et sous conditions d’âge et d’expérience.
[2] Pour plus de détail se reporter à Actualité de la formation permanente n° 163 et 167. Pour la méthodologie, l’échantillon et les résultats in extenso de cette recherche voir : Formation, Emploi, Précarité, Lenoir H, Marais J.-L (dir.) à paraître chez L’Harmattan, 2001.
[3] Le concept d’apprenanced’apparition nouvelle, sa construction est en cours. Nous en devons la première formulation à M.-F. Duru-Bellat. (vérifier)