Université et éducation permanente : un rendez-vous manqué?

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Université et éducation permanente : un rendez-vous manqué ?

 

Introduction

 

Cette contribution consacrée à l’histoire, par force récente, de l’Education permanente et de la formation continue dans les universités, n’a pas une prétention à l’exhaustivité. Ell est à considérer à la fois comme un rappel et un regard critique et analytique à partir des principaux textes et auteurs qui font aujourd’hui références dans le domaine. Notons, dès à présent, la rareté des sources et des travaux sur l’Education permanente à l’Université. Elle est selon nous un indicateur de la place de cette dernière dans les établissements et ce chapitre vise à mieux en connaître la réalité, les réussites et les limites.

 

L’Université a été longtemps réservée à la formation des élites, aussi à leur arrivée l’Education permanente et la formation continue ont pu apparaître comme des corps étrangers dans un système à forte tradition. C’est peut-être pourquoi, elles provoquèrent des résistances et qu’elles furent longtemps considérées comme des éléments exogènes menaçant le principe de l’excellence de la formation par les publics qu’elles drainaient. De là, des acteurs, des activités et des services de formation continue pas toujours entendus et compris, voire pas toujours acceptés. L’histoire de la formation continue universitaire (FCU) est peut être, c’est notre hypothèse, celle d’un rendez-vous difficile, voire manqué, entre deux cultures et deux réalités encore aujourd’hui en partie étrangère.

En effet, la FCU s’inscrit dès son apparition dans les années 1970 dans la différence. Elle accueille des adultes et non des jeunes ; elle se définit comme une formation continue et non comme une formation initiale ; elle forme des travailleurs et des travailleuses et non des étudiants ; elle s’inscrit dans une logique de promotion sociale et non dans l’élitisme fut-il républicain ; elle se propose de développer des savoirs et des compétences en lien avec le monde professionnel et ne se limite pas aux savoirs généraux. Enfin, elle ne considère pas l’étudiant comme une « pâte molle » qu’il faut modeler mais tient compte et s’appuie sur l’expérience des apprenants. A l’évidence la FCU déstabilise et interroge la tradition universitaire, elle est un autre monde d’où des incompréhensions et des résistances qui quelquefois perdurent encore

En d’autres termes, malgré des efforts quelquefois convergents des acteurs de l’Université, l’Education permanente et la formation continue qui demeurent des activités encore porteuses de valeurs quelquefois militantes n’ont pas réussi leur osmose avec le milieu dans lequel elles tentent de se développer depuis quarante ans. Elles sont pourtant dans certains établissements une fort belle plante malheureusement très (trop) souvent considérée comme parasite condamnée à se développer sur ses seules ressources.

Ce chapitre dans un premier temps retracera à grands traits l’histoire de l’Education permanente et de la FCU dans les universités puis dans une deuxième partie, il abordera les enjeux et le rôle réel et/ou attendu de la FCU dans l’enseignement supérieur. Enfin dans une troisième partie, il tentera de montrer en quoi, elle a été ou aurait pu être un élément porteur d’innovation tant sur le plan organisationnel que pédagogique.

 

Aperçu historique

 

Nous avons fait le choix de ne traiter dans ce bref rappel historique que de l’Education permanente et de la FCU dans les universités ce qui a pour conséquence que nous n’évoquerons pas ici l’histoire du Conservatoire des Arts et Métiers (CNAM) ou d’autres institutions d’enseignement supérieur. Rappelons toutefois pour mémoire que les grandes écoles techniques où les savoirs ne sont pas qu’académiques et généraux sont créées successivement sous la Convention, l’Empire et la Restauration et que la IIIe république accentuera ce mouvement. De fait, selon Noël Terrot : « avec l’apparition des Hautes Etudes Commerciales en 1881. L’enseignement supérieur technique connaît ainsi pour l’essentiel, son organisation actuelle[1] ». Quant au CNAM, il obtiendra dès 1924 le droit de délivrer le titre d’ingénieur du Conservatoire même s’il y eu très peu de reçus (800 ingénieurs de 1924 à 1960)[2]. Ceci tend à souligner que la logique de certification qui irrigue la FCU est une préoccupation déjà ancienne que la validation des acquis professionnels et de l’expérience en 1992 et 2002 a accéléré et amplifié.

De facto, c’est à la Libération que le débat est relancé et se noue. En effet, le Plan Langevin-Wallon, dont l’ambition était de repenser le système éducatif national dans son ensemble, en tant que porteur des valeurs de l’Education populaire attribue « un rôle particulièrement important (…) à l’enseignement supérieur. Indépendamment des étudiants classiques, il devra accueillir tous ceux qui, en possession ou non du baccalauréat, estimeraient utile de venir satisfaire l’appétit de connaissances que leur expérience antérieure a pu éveiller. Non sanctionné par un diplôme, cet enseignement doit avoir un but purement culturel[3] ». Un tel projet annonce déjà des pratiques d’éducation permanente qui verront, quelques années plus tard, le jour dans les universités comme les cycles de conférences gratuits, les universités inter-âges ou encore après 1968, l’Université de Vincennes (Paris VIII)…

L’organisation de la FCU que nous connaissons aujourd’hui se construira petit à petit entre 1950 et 1984. Dès 1951, Michel Debré « demandait que soit créée une commission chargée d’étudier la mise en place de « Facultés ouvrières de culture technique (…). Les études auraient été sanctionnée par un diplôme d’ingénieur[4] ». Le projet n’eut pas de suite immédiate mais laissait augurer de la création ultérieure des Instituts de promotion supérieure du travail. La même année, et c’est là la réelle entrée en lice des universités, les Instituts de promotion supérieure du travail sont crées à l’initiative d’industriels et d’universitaires. Le premier ouvre à Grenoble en 1951. En 1954, à Nancy, est crée le Centre de coopération économique et sociale. Bertrand Schwartz en prendra la direction en 1960. Le projet de ces instituts est de délivré le titre d’ingénieur à des ouvriers. En 1957, une circulaire vise à étendre l’expérience à toutes les académies et rattache les instituts aux facultés des sciences[5]. Noël Terrot souligne aussi qu’en 1952 sont mis en place dans ce sens les centres associés du CNAM[6]. Dans la même période se profilent d’importants dispositifs de formation promotionnelle supérieure comme la Promotion ouvrière organisée à EDF-GDF qui vise à promouvoir, à l’interne, des cadres issus du milieu ouvrier.

Une autre étape décisive à lieu, et c’est sans doute une date fondatrice pour la FCU, en 1956 avec la publication du Décret du 26 novembre qui prévoit la « création d’un examen d’entrée en faculté pour les non bacheliers[7] ». Examen spécial d’entrée à l’université (ESEU) transformé en 1994 en Diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). En 1959, la loi sur la promotion sociale permet de franchir un nouveau pas. Elle donne un rôle important à jouer à l’enseignement supérieur. La promotion supérieure du travail est « organisée dans les facultés au Conservatoire national des arts et métiers. L’accès à ces établissements s’effectue sans conditions de diplôme afin qu’ils deviennent les débouchés normaux des étudiants issus de la promotion du travail[8] ».

La loi d’orientation des Universités de 1968 promulguée à l’initiative d’Edgar Faure affirme que la formation des adultes constitue l’une des missions fondamentales des Universités. Mais de fait, elle n’eut que peu d’impact sur les établissements. Il s’agit plus de réaffirmer un principe déjà ancien que d’une réelle volonté politique assortie de moyens. Pourtant quelques universités s’engageront tôt et avant même la Loi de 1971 dans des activités d’Education permanente. C’est le cas de l’Université de Nanterre où durant les évènements de Mai 68 une commission de l’éducation permanente est mise en place d’où naîtra l’Institut d’Education Permanente aujourd’hui Centre d’Education Permanente (CEP)[9]. C’est le cas à Lille en 1970 où « le professeur André Lebrun (…) décide de se consacrer entièrement à la formation des adultes de faible niveau scolaire, et il crée le Centre Universitaire d’Etudes et d’Education Permanente (CUEEP)[10] » ou encore à Grenoble où se crée le CUIDEP (Centre Universitaire d’Information et de Documentation sur l’Education Permanente). Plus tard d’autres centres de formation continue suivront comme en 1972 à l’Université de Provence.

C’est en cette année 1972 que la FCU commence à se structurer nationalement afin de mener des réflexions communes et de se donner des moyens d’agir collectivement. Ainsi se met en place « un réseau des Chargés de mission de la formation continue universitaire puis une coordination nationale des services universitaires de formation continue créée en 1981, devenue en 1987 la Conférence des directeurs de services universitaires de formation continue[11] ». Dans ce cadre, en 1974, Daniel Chevrolet présente le rapport du réseau des chargés de mission de la formation continue universitaire. Il parle déjà, ce qui est significatif, face aux difficultés de la FCU dans les établissements « de la dernière chance … gâchée[12] », de rendez-vous manqué. Jacques Denantes souligne qu’entre 1974 et 1981, et, nous partageons son point de vue, que si la formation permanente se développe dans les universités, ce « développement (…) s’est largement fait en marge des universités[13] ». La loi d’orientation des universités de 1984 qui reprend les termes de la Loi Faure sur la place de la formation continue dans les missions des universités ne modifiera par radicalement le paysage. La période suivante, à quelques embellies près, sera marquée des mêmes difficultés de développement et de reconnaissance. Ainsi, malgré la volonté affirmée en 1989 par Claude Allègre alors au cabinet de Lionel Jospin « de reconnaître à la formation continue la place qui lui revient[14] » et malgré les « concours » qu’il fera organiser en tant que Ministre de l’Education nationale à partir de 1997 – qui offrirent une bouffée d’oxygène et ponctuellement de reconnaissance de la formation continue à l’Université – la donne et la réalité ne furent pas fondamentalement changée. Le principe et l’importance de la FCU seront réaffirmés par Francine Demichel en 1998 au Colloque de Mulhouse de la Conférence des directeurs de services universitaires de formation continue (CDSUFC) sans grand effet. La volonté de Claude Allègre – devenu Ministre de l’Education nationale – de « lever les obstacles au développement de la formation continue[15] » ne modifiera qu’à la marge la place de l’Education permanente et de la FCU dans les établissements. Et en ce sens, à ce même colloque de Mulhouse, Michel Feutrie aura raison de souligner : « le décalage entre les intentions du Ministre et la prise en compte réelle de la formation continue dans la politique des établissements » et de mettre « l’accent sur la faible place de la formation continue dans la plupart des contrats[16] ». Les lois de 1992 sur la validation des acquis professionnels et celle de 2002 sur la validation des acquis de l’expérience, renforçant le décret de 1985, auraient pu être un nouveau départ pour la FCU. Certes, elles contribuèrent à donner plus de visibilité au service de formation continue mais sans fondamentalement changer la donne et la place des services, à quelques exceptions près, dans les établissements. Quant à la loi de 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie, ses effets ne sont pas encore toujours perceptibles mais il ne semble pas à ce jour qu’elle marquera une évolution considérable dans l’activité et la place des services de FCU. Il n’est pas sûr que la nouvelle réforme annoncée pour 2008 ait des effets plus notoires… Ainsi, malgré les efforts constants de ses acteurs et actrices, le rendez-vous entre l’Education permanente, la formation continue et l’Université est encore à concrétiser.

 

La mission de l’Université en matière de FCU

Les textes et les déclarations qui attribuent un rôle fondamental, ou pour le moins important, à l’Université en matière d’Education permanente et de formation continue s’accumulent et se répètent tout au long de la seconde moitié du 20e siècle sans toutefois produire les effets que de telles déclarations d’intention auraient pu ou dû produire.

Dès la Libération le plan Langevin-Wallon dévolue un rôle notoire à l’enseignement supérieur en matière d’Education permanente et le CNAM avait l’ambition de devenir « la Sorbonne de l’ouvrier[17] » comme l’écrivait Claude Croizet en 1954. Force est de constater que beaucoup d’effort reste à faire en la matière. En 1961, le Conseil de l’enseignement supérieur est saisi par le Ministre de l’Education nationale[18] afin d’ouvrir les facultés des sciences à la formation technique supérieure et à la promotion sociale. Dès 1967, certains syndicalistes, avant même Mai 1968 et le constat de Grenelle, affirmaient déjà que « l’université par sa vocation même devra jouer ici le rôle essentiel (dans l’organisation de l’éducation permanente). Qui, d’autre part, peut-être le meilleur garant de cet intérêt, être en mesure de rassembler ces ressources intellectuelles et pédagogiques ?[19] » Convergence du point vue d’acteurs que la Loi d’orientation de l’enseignement supérieur de 1968 réaffirmera. Ainsi, peut-on lire dans le Journal officiel lors de sa publication que « l’enseignement supérieur doit être ouvert aux anciens étudiants ainsi qu’aux personnes qui n’ont pas eu la possibilité de poursuivre des études afin de leur permettre, selon leurs capacités, d’améliorer leurs chances de promotion ou de convertir leur activité professionnelle. Les universités doivent concourir (…) à l’éducation permanente à l’usage de toutes les catégories de la population et à toutes fins qu’elle peut comporter[20] » y compris de permettre à chacun d’être acteurs « de son propre destin ». Position adoptée aussi par une partie de la communauté universitaire en particulier par l’Association pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS), lors de son colloque d’Orléans en novembre 1970 dans les actes duquel on peut lire : « Les universités, grâce aux garanties que donne leur indépendance, devraient constituer un lieu privilégié de l’éducation permanente » et en ce sens « il importe que les universités, (engagent) une partie de leurs ressources actuelles au profit de la formation des adultes[21] ».

La Loi de 1984 qui gouverne encore aujourd’hui les Services de formation continue universitaire consacrera définitivement l’accueil des adultes comme la troisième mission, à dignité égale, de l’Université avec la recherche et la formation initiale. Texte de Loi, largement utilisé par les acteurs de l’Education permanente et continue pour légitimer leur place mais dont les effets, nous l’avons déjà dits, reste trop souvent encore modestes.

 

De fait le rendez-vous entre l’Education permanente et l’Université malgré des volontés convergentes ne fut pas toujours couronné d’un total succès. L’une des explications, selon nous, est liée à la nature et aux missions de la formation continue qui ne furent pas toujours bien comprises et acceptées par la communauté universitaire. En effet la FCU, si elle se doit d’être « supérieure » dans ses enseignements, elle se doit d’être aussi professionnelle et c’est sans doute cette dimension qui a rendu le rendez-vous difficile. En effet, en 1967 déjà, certains estiment qu’en matière de FCU, les universités doivent créer des liens avec le monde du travail et qu’il convient de mettre en place entre les partenaires universitaires et économiques « une meilleure information et de meilleurs contacts[22] ». Position reprise et partagée par de nombreux acteurs sociaux suite à la promulgation de la Loi de 1971 sur l’Education permanente et la formation continue. Ainsi pour la CFDT, dans le cadre de l’éducation permanente, l’Université « doit être ouverte aux besoins des hommes et des femmes de tous âges, à l’évolution des comportements, des techniques, au monde industriel et du commerce, non pour se mettre à la disposition des « employeurs » mais pour savoir ce qui se passe[23] » dans la sphère professionnelle. C’est d’ailleurs la position qu’adopteront alors – et qui vaut encore à ce jour – les représentants de la formation permanente et continue universitaires. En ce sens, Jean-Pierre Korolitski déclarera au colloque de Reims des services de FCU en 1972 : « si les formations universitaires ont un objectif social et de promotion, elles ont aussi un objectif de qualification, un objectif professionnel. Le développement de la formation continue dans l’enseignement supérieur doit être aussi générateur de l’efficacité économique[24] ». Il est probable qu’une telle articulation entre savoirs universitaires et compétences économiques et professionnelles soient à l’origine de certaines résistances et de certains malentendus entre les parties prenantes de l’Université.

Malgré la vieille tradition des universités d’accueillir des « auditeurs libres » ou encore « des étudiants bénévoles »[25] dont beaucoup relève de l’Education permanente, Laurence Fond-Harmant a raison de souligner que « parmi les problèmes posés (à l’Université), la question des publics de la formation universitaire des adultes n’est pas encore pleinement résolue[26] » et qu’elle n’a pas encore complètement accepté sa troisième mission car cette dernière implique, pour qu’elle s’inscrive pleinement dans le mouvement de l’Education permanente, de consentir à discuter avec des partenaires de ses finalités et de renoncer au moins pour une part au temps « des études désintéressées, (au) temps de la libre entreprise intellectuelle ». Autrement dit d’accepter de repenser sa fonction sociale et/ou de participer à une nouvelle mission. C’est donc « à une révision déchirante de ses objectifs et de ses méthodes, donc du contenu de son enseignement et de son inspiration, que se trouve appelée l’université[27] ». Cette évolution attendue ne fut pas toujours bien comprise car elle impliquait « qu’elle (…) apparaisse plus ouverte et plus liées aux réalités économiques et sociales, plus disponible à la recherche et au changement, plus perméable aux valeurs du monde du travail[28] », en d’autres termes qu’elle apparaisse moins élitiste et qu’elle consacre, de plus, une partie de ses moyens à la FCU. Ainsi, bien que dès 1970 d’aucuns considéraient que les universités « figurent au premier rang des institutions qui ont vocation pour offrir aux adultes, engagés dans la vie active, les formations et les enseignements qu’ils demandent[29] », nous partageons l’opinion de Gérard Ignasse qui constatait, à juste raison et en connaissance de cause, en 1993 que « la consécration législative (suite à la loi de 1984) n’a pas suffit à légitimer complètement la formation continue dans la deuxième moitié des années 80[30] ». Si nous avons connu comme le note Michel Feutrie à la fin des années 1990 « une meilleure prise en compte de la dimension formation continue par les direction des établissements d’enseignement supérieur[31] », il reste de nombreuses marches à franchir pour réussir pleinement notre rendez-vous avec l’Université. De fait, comme le soulignait déjà un rapport de l’OCDE à la fin des années quatre-vingt « bien que la demande d’instruction et de formation des adultes ne cesse d’augmenter, nombre d’établissements d’enseignement supérieur sont peu (ou encore mal) préparés à s’y adapter et à prendre les mesures qui conviennent pour se conformer aux besoins d’instruction et à la situation particulière des adultes[32] ». Ainsi, malgré les efforts de communication et la qualité scientifique des acteurs internes de la FCU, l’Université ne donne pas encore toute sa place à la mission d’Education permanente. De plus elle ne perçoit que « trop rarement les possibilités de modernisation que lui offre la formation des adultes et qu’elle y résiste même le plus souvent[33] ».  De fait les choses ont peut changé même si la FCU est aujourd’hui mieux connue, elle n’est pas toujours mieux perçue et ne fait que trop rarement encore partie des priorités des établissements.

 

Le rendez-vous pédagogique attendu

 

Si le rendez-vous de la modernisation des universités que la FCU aurait pu faciliter, si ce n’est accélérer, en les ouvrant aux dimensions socio-économiques, l’évolution ne se fit qu’à la marge. D’autres transformations pour accompagner la FCU auraient aussi dû être mises en chantier. En ce sens, il était sans doute aussi nécessaire de ré-interroger leur organisation et leur « faire » pédagogique. Encore une fois, des recommandations dans cette direction furent très tôt formulées mais elles ne furent que peu entendues. Dès 1966, l’Association d’Etude pour l’Expansion de la Recherche Scientifique considérait que la formation des adultes avait pour vocation de modifier en profondeur le monde universitaire. Pour cette association, « L’éducation permanente n’est pas seulement une fonction nouvelle de l’université ; elle remet en cause la conception de toutes les fonctions de l’université. Toute réflexion sur les finalités de l’éducation doit être guidée par les nécessités de formation et le développement personnel des hommes et des femmes tout au long de leur vie[34] ». Dans ce texte précurseur, il est par ailleurs souligné que pour assumer cette mission, « L’ensemble du système éducatif d’enseignement supérieur doit se préparer, dans les prochaines années et dans des structures adaptées à « communiquer » avec une population d’adultes, formés par la vie (…). Tout établissement d’enseignement supérieur avec ses structures, son personnel, ses locaux et ses moyens de recherche a une responsabilité indéniable dans cette action[35] ». Outre cette association interne à l’université, d’autres acteurs comme Edgar Pisani considérait cette évolution comme inéluctable et indispensable à la mission d’éducation des adultes. Pour lui, dès 1968, « La mise en œuvre d’un système d’éducation permanente suppose une nouvelle définition de l’université, une transformation profonde de ses objectifs, de son statut, de ses structures, de ses méthodes, de son fonctionnement[36] ». Ces recommandations restées malheureusement lettre morte, même si elles furent régulièrement réitérées, auraient pu si elles avaient eu plus d’écho permettre à la FCU de prendre place, sa place, dans le paysage universitaire. A ces évolutions de fond devaient s’ajouter d’autres fonctions annexes, évoquées dès 1970 et aujourd’hui assez bien maîtrisées par les SCFU : « Les universités autonomes ne peuvent jouer pleinement leur rôle en matière d’éducation permanente qu’à la condition que se développent de multiples mécanismes d’information (…) et de communication[37] ». Le constat est clair et les choses sont dites ou écrites depuis fort longtemps et seule, semble-t-il, des volontés fortes on fait défaut pour réussir cette mue organisationnelle nécessaire à l’accueil des adultes dans nos établissements.

 

Au-delà, de devoir ajouter à ses « finalités traditionnelles » la formation tout au long de la vie et de modifier son organisation, l’Université aurait dû pour en faciliter la mise en œuvre repenser ses modes d’intervention pédagogique. Là, encore très tôt, très régulièrement et très systématiquement des voix se firent entendre. En effet, dès 1961, le Conseil de l’enseignement supérieur afin de faciliter l’accès des adultes à l’Université recommandait d’organiser « des séances spéciales de travaux pratiques et travaux dirigés (…) le soir ou groupés à certaines périodes de l’année universitaire à l’intention des étudiants exerçant une activité professionnelle leur interdisant de participer aux séances normales [38]». Quant à la relation pédagogique, elle aussi devait évoluer pour tenir compte de ce nouveau public : « cette adaptation de l’enseignement (à l’université) aux besoins de notre époque suppose une pédagogie. Il devient un lieu commun de dire que la rapport maître-enseigné doit être transformé[39] » écrivait la CFDT en 1970. De son côté, l’Association pour l’expansion de la recherche scientifique, toujours aussi en pointe en matière de réflexion, publiait les actes de son colloque d’Orléans de la même année dans lesquels on peut lire : « les innovations pédagogiques nécessaires pour tenir compte des aptitudes et des besoins des adultes (…) pourraient largement contribuer à rénover l’enseignement offert aux étudiants[40] ». Ce que d’aucuns pensèrent et tentèrent sans toujours beaucoup de succès. Dans ce même document, la dite association propose déjà, de « prendre en compte (…) certaines parts des expériences professionnelles » et d’organiser « des systèmes d’aller et retour entre l’activité d’étude et l’activité professionnelle[41] » en bref, lancer des expériences d’enseignement alterné autant de pratiques qui ne virent jour à l’université que bien des années plus tard. Enfin, elle incite déjà à mettre en place « des enseignements individualisés » qui mirent fort longtemps à se concrétiser car « dans la tradition universitaire (il est rare) d’individualiser les réponses, de singulariser les parcours [42]».

Enfin, pour assumer sa mission d’Education permanente et de formation continue, l’Université aurait dû offrir plus de place et plus de moyens à la recherche sur l’Education des adultes. Là encore, une telle préconisation fut formulée très tôt (1966), une fois encore avant la loi de 1971, par l’Association d’Etude pour l’Expansion de la Recherche Scientifique qui écrivait : « la recherche andragogique doit être dotée de moyens à la mesure de l’enjeu économique, social et culturel que représente l’éducation des adultes[43] ». Constat repris par en 1969 par Jean Chenevrier qui notait : « il faut mettre en œuvre une « andragogie » qui reste largement à créer et qui constitue un vaste champ ouvert à la recherche[44] ». Propos depuis toujours répété y compris très récemment au colloque de Pau en 2007 de la Conférences des Directeurs de Services Communs de Formation Continue. En ce domaine comme dans beaucoup d’autres, il nous faut constater que le rendez-vous est encore à finaliser.

 

Conclusion

 

Comme nous venons de le montrer, très tôt, les éléments qui auraient pu donner toute sa place à l’Education permanente et à la formation continue à l’Université furent pointés et proposés, très tôt, par de nombreux acteurs. Mais malgré ses analyses et ses constats anciens et souvent réitérés, il nous faut conclure que la révolution culturelle qu’aurait dû être la formation des adultes à l’Université à rencontrer de nombreux obstacles et de fortes résistances qui obérèrent pour une large part, malgré quelques belles réussites, son activité et sa visibilité.  Et il faut bien en convenir : « Au XXe siècle, la rencontre de l’université et de la formation tout au long de la vie fut l’histoire à la fois d’un rendez-vous manqué et sans cesse repoussé et celle de promesses non tenues malgré la volonté forte et l’action de minorités actives[45] ».

Comment expliquer une telle suite de rendez-vous manqués, voire de malentendus ? Sans doute pas seulement par faute de moyens car les financements de la formation professionnelle, faute de volonté politique de l’Etat, auraient malgré tout suffi. Les raisons de ce demi échec ou de cette demie réussite sont très largement imputables à l’Université elle-même et à ses acteurs. En effet, les ponts entre formation initiale et continue furent toujours difficiles à établir, furent toujours précaires et remis en question. Quant à la synergie entre formation initiale et formation continue, elle resta bien souvent introuvable. Par ailleurs, la formation permanente ne fut que très rarement une priorité des établissements ; elle n’eut qu’une place relative dans la recherche et une reconnaissance à peu près nulle en matière de carrière pour les enseignants-chercheurs et les personnels. De plus, ses publics ne furent pas toujours bien pris en compte dans l’organisation, les pédagogies et les logiques d’établissement. Enfin, elle ne bénéficia que d’un intérêt très relatif des différents Ministres qui se succédèrent à l’Education nationale, à la Recherche et à l’Enseignement supérieur même si ces dernières années les choses ont quelque peu évolué.

Quant aux causes externes, il en existe aussi probablement de nombreuses en particulier celle qui consiste à pointer un défaut relatif de liens forts avec le monde socio-économique et avec les partenaires sociaux, défaut relatif qui lui aussi tend à se corriger ou comme celle d’une carence en matière de communication en direction des publics de la FC, communication qui elle aussi à beaucoup progresser au demeurant.

Pour ne pas rester sur une impression en demie teinte, il nous apparaît encore aujourd’hui que ce rendez-vous pourrait être réussi et que tout n’est pas perdu. Nos services possèdent de nombreuses compétences, une riche expérience et se sont dotés d’outils adéquats depuis plusieurs années et l’Université peut encore réussir sa mue dans un esprit de service public mais il y a toutefois, à nos yeux, urgence car les plus belles réussites en matière d’Education permanente à l’Université dont le CUCES de Nancy ou le CUEEP de Lille[46], pour n’en citer que deux parmi les plus connues, font figures d’exception même si dans tous les services de FCU il y a eu des réalisations intéressantes et particulièrement dans ces dernières années comme le portage et la mise en oeuvre de la loi de 2002 sur la VAE. Au demeurant, pour que l’Education permanente et la formation continue à l’Université prennent enfin un complet essor et permettent « à chaque homme et à chaque femme de maîtriser sa vie, c’est-à-dire d’élever son niveau culturel et, (…), d’aboutir à une sorte d’autogestion de sa propre existence[47] », un effort important de tous les acteurs internes et externes, institutionnels ou non, reste à engager et à accomplir.

 

Bibliographie indicative

 

Collectif, (1993), L’avenir de la formation professionnelle universitaire continue, Arcueil, Païdeia éditions.

Collectif, (2007) Les fonctions d’un Directeur de service de formation continue universitaire, FCU-AMUE.

Denantes J., (2006), Les universités françaises et la formation continue, 1968-2002, Paris, L’Harmattan.

Feutrie M., (1999), La formation continue demain, une mission centrale pour les universités, Actualité de la formation permanente, n° 162.

Fond-Harmant  L., (1996), Des adultes à l’université, Paris, l’Harmattan.

Lenoir H., (1999), Innovation et tendances dans la formation continue (1990-2000), Actualité de la formation permanente, n° 162.

Palazzeschi Y., (1998), Introduction à une sociologie de la formation, Paris, L’Harmattan.

Palazzeschi Y., (2004), Histoire de la formation post-scolaire, in Traité des Sciences et techniques et de Formation, Paris, Dunod.

Terrot, N., (1997) Histoire de l’éducation des adultes en France, 1789-1971, Paris L’Harmattan.

 

 

Hugues Lenoir

Enseignant-chercheur

Université de Paris X-Nanterre

 

 Résumé

 

Cette contribution a pour ambition au travers d’une revue de textes de mieux cerner et de mieux comprendre la place ou la non place de l’Education permanente et de la formation continue dans les Universités depuis la Libération. Cette analyse est conduite à partir de textes d’auteurs qui font références aujourd’hui dans le domaine et à partir de l’expérience de l’auteur, lui-même ancien directeur du Centre d’Education Permanente (CEP) de Paris X – Nanterre et ancien membre du bureau de la Conférence des directeurs de services universitaires de formation continue (CDSUFC).


[1] Terrot, N., (1997), Histoire de l’éducation des adultes en France, Paris, L’Harmattan, p.80.

[2] Ibid., p. 193.

[3] Ibid., p. 169

[4] Ibid., pp. 175-176

[5] Ibid., pp 193-194.

[6] Ibid., pp. 175-176.

[7] Ibid., p. 194.

[8] Ibid., p. 235

[9] Le CEP de Paris X en septembre 2008 changera d’appellation et deviendra le CREFOP (Centre de relations avec les entreprises et de formation permanente)

[10] Denantes Jacques (2006), Les universités française et la formation continue, 1968-2002, Paris, L’Harmattan, p. 54, 55, 56. et 67.

[11] Ibid., p.63

[12] Ibid. p.73.

[13] Ibid. p.92.

[14] Ibid. p.114.

[15] Ibid., pp. 151-152.

[16] Ibid. p.153.

[17] Croizet Claude, Grâce au Conservatoire des arts et métiers un ouvrier peut devenir ingénieur in Travail et Maîtrise, septembre 1954 in Palazzeschi, Y. (1998), Introduction à une sociologie de la formation, Paris, L’Harmattan, T.1, p.54.

[18] Voir : Rachou Henri, Le développement de la promotion sociale à l’université in L’Education nationale, n° 18, 18 mai 1961 in Palazzeschi, Y, op. cit., T.2.

[19] Cottave Robert, L’organisation nationale de l’éducation permanente, rapport présenté au congrès fédéral de la fédération nationale des ingénieurs et cadres FO des 8, 9 et décembre 1967, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.1, p.224.

[20] T. 2, Ministère de l’Education nationale, Loi n°68-978 d’orientation de l’enseignement supérieur, JO de la République française, 13 nov. 1968, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.2. p. 252.

[21] Association pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS), Propositions et éléments de réflexion pour un colloque national sur la formation permanente in Vie active et formation universitaire, actes du colloque d’Orléans, nov. 1970, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.2. p. 254.

[22] Cottave Robert, op. cit., p. 225.

[23] CFDT, Eléments d’information et de réflexion sur la formation professionnelle et permanente, CFDT, ronéoté, novembre 1971, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.1, p. 229.

[24] Korolitski Jean-Pierre, La formation continue, mission fondamentale de l’université, au service du développement économique, social et culturel, rapport de synthèse », colloque de Reims, Flash formation continue, n°142 bis, 1er avril, 1972, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.2, p. 493.

[25] Les fonctions d’un Directeur de service de formation continue universitaire, mai 2007, FCU-AMUE, p. 8.

[26] Fond-Harmant  Laurence (1996), Des adultes à l’université, Paris, l’Harmattan, p. 82.

[27] Chenevrier Jean, L’éducation permanente in Cahier n° 13, 1969, Centre de recherche et d’études des chefs d’entreprise, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.1, p. 221.

[28] Cottave Robert, op. cit., p. 225.

[29] Association pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS), op. cit., p.253.

[30] Ignasse Gérard (1993), Les quatre âges de la formation continue universitaire in L’avenir de la formation professionnelle universitaire continue, Arcueil, Païdeia éditions, p. 20. G. Ignasse, aujourd’hui décédé a dirigé le Centre d’Education Permanente de Paris X pendant plusieurs années.

[31] Feutrie Michel (1999), La formation continue demain, une mission centrale pour les universités, Actualité de la formation permanente, n° 162, p. 38.

[32] CERI (1987), Les adultes et l’enseignement supérieur, Paris, OCDE, p. 26 cité par Lenoir H., Université, éducation permanente et initiative individuelle in Berton F., Correia M., Lespessailles C., Maillebouis (eds), (2004), Initiative individuelle et formation, Paris, L’Harmattan, p. 257.

[33] Lenoir Hugues (1999), Innovation et tendances dans la formation continue (1990-2000), Actualité de la formation permanente, n° 162, p. 41.

[34] Association d’Etude pour l’Expansion de la Recherche Scientifique, Les perspectives de l’enseignement supérieur et de la recherche, Colloque de Caen, 1966 reproduit par L’Education nationale, n° 807, 1er octobre 1966, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.1, p. 212.

[35] Association d’Etude pour l’Expansion de la Recherche Scientifique, op. cit., p. 212.

[36] Pisani Edgar, Plan national d’éducation permanente in Hommes et citoyens, mars 1968, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.1, p. 239.

[37] Association pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS), Propositions et éléments de réflexion pour un colloque national sur la formation permanente in Vie active et formation universitaire, actes du colloque d’Orléans, nov. 1970, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.2, p. 256.

[38] Rachou Henri, Le développement de la promotion sociale à l’université in L’Education nationale, n° 18,

18 mai 1961, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.2, p. 73.

[39] CFDT, Eléments d’information et de réflexion sur la formation professionnelle et permanente, CFDT, ronéoté, novembre 1971, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.1, p. 229.

[40] Association pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS), Propositions et éléments de reflexion (…), nov. 1970, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.2, p. 254.

[41] Ibid., p. 255.

[42] Lenoir Hugues (2004), Université, éducation permanente et initiative individuelle in Berton F., Correia M., Lespessailles C., Maillebouis (eds), Initiative individuelle et formation, Paris, L’Harmattan, p. 257.

[43] Association d’Etude pour l’Expansion de la Recherche Scientifique, Colloque de Caen, op. cit., p. 213.

[44] Chenevrier Jean, L’éducation permanente in Cahier n° 13, 1969, Centre de recherche et d’études des chefs d’entreprise, in Palazzeschi, Y, op. cit., T.1, p. 219.

[45] Lenoir Hugues (2004), Université, éducation permanente et initiative individuelle in  op. cit., p. 258.

[46]  Et ce en dépit des difficultés que le CUEEP connaît aujourd’hui.

[47] Delors Jacques., Genèse d’une loi et stratégie du changement, Connexions, n° 17, 1976, cité par Fond-Harmant L., op. cit., p. 263.

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