Université et formation 2
Université, Éducation permanente
et
Initiative individuelle
Avant même de traiter de la place de l’initiative individuelle à l’Université et plus spécifiquement de sa prise en charge dans et par les Services Communs de Formation Continue Universitaires (SCFC), il convient de noter que la littérature consacrée à l’Education permanente et à la formation continue universitaire est fort rare. Les revues professionnelles et de recherches exclusivement centrées sur la formation des adultes n’ont consacré dans les vingt-cinq dernières années que quelques très rares numéros ou articles à ce thème et aux activités qu’il sous-tend. Ainsi, trois numéros du Flash Formation Continue, revue du CUIDEP de Grenoble (1981, 1989, 1994), quelques articles (1983, 1994, 1996) et un numéro d’Actualité de la formation permanente (1999), un article dans la revue Education permanente(2001), un article dans Pour(2001). Quant aux ouvrages qui traitent de cette question, ils sont rarissimes et confidentiels[1]. Un vrai manque qui soulève une vraie question. Cette absence relative d’intérêt n’est-elle pas indicative et symbolique, à la fois de la place réelle de l’Éducation permanente à l’Université et de la place faite à l’initiative individuelle des adultes relevant de la formation continue dans les établissements supérieurs ? C’est à cette question que cette contribution tentera de répondre en partie en tenant compte toutefois de l’autonomie des universités qui implique que “les établissements participent de manière différente à l’effort de formation permanente”[2] et que de ce fait toute tentative de réponse ou d’analyse n’est que partielle et sujette à variation d’un lieu à l’autre.
Mon propos a pour origine deux sources, l’une est le résultat d’une lecture attentive des quelques centaines de pages consacrées à la formation des adultes dans l’enseignement supérieur, l’autre est le fruit d’observations empiriques et de ma propre expérience comme acteur privilégié du Centre d’Éducation Permanente de l’Université Paris X – Nanterre et comme membre du bureau de la Conférence des Directeurs de Services Communs de Formation Continue.
Dans une première partie, afin de mieux faire appréhender la place de l’initiative individuelle des adultes à l’université, je ferai quelques rappels historiques dans le cadre d’une brève problématisation. Dans une deuxième partie, j’interrogerai la notion d’initiative individuelle et ce qui la motive et la rend possible. Dans une troisième, j’évoquerai la réponse des universités face à cette demande.
Aperçu historique et problématique individuelle
La question des liens entre le Travail et l’Université est dans une certaine mesure déjà posée à la fin du XIXe siècle lorsque s’ouvrent les premières Universités Populaires. Sans remonter aussi loin, Noël Terrot[3] remarque que la volonté d’accueillir des adultes à l’université est ancienne en particulier depuis 1945 mais que cette volonté, malgré quelques projets et textes incitatifs, est d’abord une initiative individuelle et militante dont l’intention explicite est de favoriser l’initiative individuelle apprenante. Suite aux événements de 1968 et à partir de 1971, suite au vote de la Loi sur la formation professionnelle, la réponse de l’université s’institutionnalisera, même si les volontés militantes restent fortes et les réponses souvent partielles et rarement satisfaisantes.
L’Examen spécial d’entrée à l’université (ESEU) créé en 1957, adapté en 1969, ouvre l’université aux non-bacheliers. Cet examen spécial, afin d’en renforcer la force et la valeur sociale, sera transformé en 1994[4] en un Diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) équivalent au BAC. Il apparaît, dès lors, comme une vraie opportunité par l’initiative individuelle[5] bien relayée par les SCFC des universités attachés à la promotion sociale tant individuelle que collective. Il vise à redonner à chacun le goût d’étudier et de réussir, articuler à une forte motivation personnelle. Il offre une vraie seconde chance de re-prendre les bases théoriques et méthodologiques dans le cadre d’un projet de poursuite d’étude universitaire ou d’accès aux concours des fonctions publiques, un sas bien souvent nécessaire pour ceux qui ont connu des parcours scolaires fractionnés, interrompus, chaotiques.
Dès 1959, la loi qui organise la Promotion sociale permet la mise en place des IPST (Institut de promotion supérieur du travail) qui apparaissent bien comme “une réponse à l’initiative individuelle, pour la réalisation d’un projet personnel”[6]. Les universités sont directement impliquées dans le processus, la loi d’orientation des universités du 12 novembre 1968 affirme que “quel que soit son âge, son milieu social, sa profession, chacun doit toujours être mis en mesure d’accroître et de renouveler ses connaissances, afin de bénéficier de toute promotion correspondant à ses capacités (…). Les universités doivent concourir (…) à l’éducation permanente à l’usage de toutes les catégories de la population”[7]en mobilisant des moyens et des méthodes pédagogiques. En 1984, une nouvelle loi d’orientation, consacre la formation continue comme l’une des missions de l’université, elle affirme ainsi “une volonté de répondre (…) à des besoins exprimés par des individus, quelle que soit leur situation sociale ou professionnelle”[8].
Dans les mêmes périodes l’université de Paris VIII – Vincennes s’ouvre sans condition aux non-bacheliers, le CNAM reçoit dans ses cours du soir des milliers d’adultes qui viennent “librement s’inscrire dans certaines unités de valeurs ou même les suivre simplement en auditeurs libres sans préoccupation d’obtenir un diplôme”[9]. Les universités quant à elles organisent des “universités inter-âges” pour les “inactifs” en quête de culture et d’éducation permanente.
Les initiatives et les incitations sont donc nombreuses mais rarement fédérées entre elles, ce qui rend leur lisibilité et leur mesure difficiles encore aujourd’hui. Les Services Communs de Formation Continue (SCFC) qui se mettront en place à partir de 1971-1972 tenteront, dans leurs établissements et en se coordonnant d’assumer la mission de formation continue que la loi leur confère et d’organiser une réponse mieux adaptée à la demande individuelle.
La grande révolution, en matière de réponse à l’initiative des personnes, fut suite au décret de 1985 et à la loi de 1992 et est encore aujourd’hui dans le cadre de la loi de Modernisation sociale, la possibilité offerte aux établissements d’enseignement supérieur de reconnaître et de valider les savoirs de l’expérience. Cette possibilité d’abord d’accès puis d’octroi de tout ou partie d’un diplôme est une réelle ouverture et une vraie opportunité, pour les universités, de faire une place à la demande individuelle en matière de prise ou de reprise d’étude, voire de certification partielle ou totale. Réelle opportunité car la VAE (Validation des acquis de l’Expérience) renvoie bien à une question et à une motivation individuelle dans le cadre d’un parcours expérientiel singulier en vue d’une inscription et d’un cursus singulier. De plus la VAE oblige à individualiser les parcours donc de bien répondre à une demande individuelle faisant suite à une initiative et à une démarche de validation personnelle. L’université, en ce sens, devra de plus en plus être en mesure de faire une offre “individualisée” à l’apprenant adulte tant en matière de définition de cursus, qu’afin de suivre les prescriptions individuelles faites par les jurys.
Au-delà , de ces quelques données chronologiques, il convient de s’interroger sur l’importance de la demande individuelle. Un certain nombre d’évolutions sociales laissent à penser que celle-ci ne fera que croître. En effet, après avoir été au 19esiècle et jusque dans les années 1970 un espace de formation et de reproduction des “élites” dominantes, l’Université devient un lieu de formation de masse. Dans ces deux contextes, élitisme et massification, peu de cas était fait à l’initiative individuelle et encore moins à la formation continue même si certains établissements, dans la continuité de mai 68, s’emparent de la toute jeune loi de 1971. Dans les années 1980-1990, deux facteurs vont jouer dans le sens d’une meilleure prise en compte des individus : le congé individuel de formation (CIF) et les diverses mesures d’accompagnement par la formation des demandeurs d’emploi[10]. Mesures juridiques qui vont drainer vers les universités et leurs services de formation continue un nouveau public porteur d’un nouveau droit. De plus, dans les années à venir, les effets démographiques, de 70 % de classes d’âge ayant atteint le niveau BAC et de 50 % de celles-ci ayant “tâté” de l’enseignement supérieur accroîtront mécaniquement la demande récurrente de formation universitaire continue. D’autres éléments encore comme l’utilisation par les actifs de temps libérés[11], les départs anticipés à la retraite, l’augmentation de la durée de vie dans des conditions de santé toujours meilleures favoriseront un retour vers l’université. Tous ces facteurs, conjugués à l’usage de la validation des acquis, devraient renforcer cette revendication légitime de plus de reconnaissance individuelle et d’une meilleure prise en compte des projets et de leurs contraintes.
Si le mouvement semble devoir s’accentuer, la question d’un accueil adapté des adultes en reprise d’études n’est de fait pas nouvelle. Dès, 1987, un rapport de l’OCDE soulignait qu’au niveau international, “la demande d’études supérieures des adultes est aussi diverse que les motifs qui la suscitent et qui vont de toutes sortes (sic) de considérations d’ordre professionnel au désir de s’instruire et de se cultiver en général. Un certain nombre de raisons économiques, et sociales contribuent, pour une part importante, à créer ou à accroître cette demande”[12]. Même si les réponses ne furent pas toujours à la hauteur de la demande, une étude de 1989 faisait le constat d’un “public en demande de reprise d’études dans une perspective d’éducation récurrente” et d’une préoccupation des SCFC pour ses adultes de “faciliter leur accès et leur effort[13]“. Ainsi, ces services de formation, malgré des intentions bien réelles mais face à des difficultés de mise en Å“uvre, souvent du fait de leur positionnement institutionnel, se préoccupèrent tôt de cette demande. Une étude de 1994 permit, pour la première fois de quantifier et de qualifier le phénomène. Ce “nouveau” public que N. Terrot qualifie d’hors âge,compte tenu de l’âge moyen de leur inscription dans les différents cycles universitaires, représenterait de 20 à 30 % des effectifs mais “que rien ne distingue dans leur statut (ou leur traitement) des étudiants classiques, hormis leur situation professionnelle et leur âge[14]“.
Nature et diversité de l’initiative individuelle
Après avoir constaté que la demande et l’initiative individuelle en matière de (re)-prise d’étude existent bien et depuis fort longtemps, même si sa prise en compte reste quelquefois difficile, il convient de mieux comprendre ce qu’elle est et ce qui la motive. Compréhension d’autant plus délicate que comme certains auteurs le soulignent la notion “d’adultes en formation” demeure floue” tout comme celle de “reprise d’études” auxquelles ils substituent la notion de “discontinuité” dans les cursus entre formation initiale et formation continue. Ils conviennent toutefois, à l’issue d’un travail statistique très poussé, que 20 % des inscrits relèveraient bien de la seconde, même si seulement 2 % se déclarent en formation continue, ce qui minore “certainement la contribution de l’université à la formation permanente”[15]. De toute évidence, cette initiative est conséquente mais fort difficile à cerner, comprendre et organiser et qu’elle renvoie très probablement à “des caractéristiques personnelles et des attentes variées”[16].
Soulignons, qu’en matière d’initiative individuelle, une fois encore, les grandes causes d’inégalités d’accès à la formation demeurent et que seuls les mieux formés et les mieux informés auront un recours naturel à l’université[17]. L’OCDE remarquait[18] déjà en 1987 que les freins étaient nombreux et que l’absence d’initiative serait due à certains éléments : coût, manque d’information sur la possibilité de se former à l’université en tant qu’adulte, ne pas remplir les conditions d’admission (absence de BAC, ignorance des possibilités de validations d’acquis, éloignement d’un pôle universitaire, absence d’enseignement à distance ou horaire inadapté, offre non satisfaisante (absence de telle ou telle discipline), manque de temps, pas d’avantage en terme de promotion, opposition de la famille ou encore présence d’enfants d’âge scolaire au domicile. Autant de “bonnes” raisons qui rendent impossibles ou décalent dans le temps tout projet de reprise d’études. Ainsi, très classiquement, dans la littérature, l’initiative individuelle serait étroitement corrélée à l’âge, au genre, à l’origine socio-culturelle, au parcours antérieur, à la profession, à l’existence d’un droit à se former et à la reconnaissance qui y est attachée.
La motivation[19] à se former serait la combinatoire de tout ou partie de ces éléments associées à une conjoncture positive renvoyant à des logiques de construction identitaire, de “réparation” ou de “deuxième chance”, de reconversion, de niveau d’expérience, de goût pour le secteur ou la matière, en bref à une grande variété des profils d’apprenants[20]. Soulignons, néanmoins, la place essentielle qu’occupe la possibilité d’obtenir un diplôme. Selon Michel Feutrie, en 1996, sur les 371 000 stagiaires de la formation continue universitaire, 55 % d’entre eux sont inscrits dans des formations certifiantes[21]. Recherche qu’on ne saurait déconnecter d’une pression économique permanente sur les individus qui tentent d’enrayer en permanence dans les dernières décennies des logiques de chômage, de déqualification voire de renouer avec celle de promotion sociale. Toujours selon l’OCDE et dès 1987, “plus de la moitié des personnes couvertes par les enquêtes nationales ont répondu que des raisons d’ordre professionnelles, c’est-à -dire le souci d’améliorer leur situation, leurs perspectives de carrière ou leurs possibilités de trouver un nouvel emploi, étaient leur principal mobile. Le désir de se cultiver et de s’épanouir ainsi que leur plaisir personnel avaient moins d’importance tout en comptant réellement pour les étudiants adultes”[22]. Au demeurant et quel que soit l’origine de l’initiative, celle-ci n’est ni banale ni sans conséquence individuelle, comme le remarque Laurence Fond-Harmand “le retour aux études (…) est particulièrement significatif. Il apparaît comme un moment très important de la vie et participe à la restructuration des trajectoires” et des identités. Moment privilégié qui peut déboucher sur des forme de “socialisation nouvelle” articulées ou non à une problématique “d’intégration sociale”[23].
Face à une telle variété de motivation, de déclencheurs et de parcours, il serait vain de tenter de dresser une typologie exhaustive de ce qui détermine la prise d’initiative individuelle et le désir et/ou le besoin de formation. La littérature consultée permet, néanmoins de repérer quelques caractéristiques, de dégager quelques constantes. L’initiative en ce qui concerne la reprise d’études des adultes à de multiples ressorts personnels et/ou professionnels, liés ou non à des systèmes de contraintes et/ou à lire comme un mode d’expression de la liberté individuelle du sujet. Elle apparaît comme une forme contemporaine de rituel initiatique qui au-delà de la reconnaissance de l’autre, personne ou institution, autorise à une reconnaissance de soi médiatisée par le passage dans la sphère du savoir légitimé. C’est sans aucun doute, Claude Poliak-Fossé qui brosse le tableau le plus complet des moteurs de l’initiative individuelle. Certes, il fut élaboré à partir de parcours d’autodidacte dont le rapport au savoir est spécifique et sans que l’auteur n’opère de distinguo entre l’accès à l’université dans le cadre de la formation continue ou du système initiale. Certes, celui est daté de 1989 mais malgré ses limites il reste globalement adapté à une meilleure compréhension de la réalité des apprenants adultes, aujourd’hui, à l’université. Ce travail[24] de recherche valide des représentations de l’initiative individuelle souvent constatée par les acteurs de terrain. Au-delà , des traditionnelles reconversions, de recherche de diplôme ou de projet personnel, l’auteur relève d’infinies raisons qui poussent à s’inscrire à l’université. Je n’en citerai que les plus significatives tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’adultes autodidactes, mais ne le sont-ils pas tous ? Ainsi, à parcours et à projets singuliers, motivations singulières ; l’échantillon de Claude Poliak-Fossé en est une bonne illustration et tout, selon les circonstances et les individus, peut devenir le catalyseur et le moteur de l’initiative : le “goût du savoir en soi”[25], “faire travailler ses méninges”, trouver un “dérivatif par rapport à une profession sclérosante” aussi bien qu’une forte détermination “à parvenir” pour soi ou pour réaliser le projet parental autrefois abandonné, qu’à “sortir de sa classe d’origine”, que réaliser un rêve d’antan : “j’ai toujours voulu faire des études”, une occasion de rompre avec un “destin scolaire négatif”… Etudes qui permettront soit d’en terminer avec une mauvaise orientation passée, productrice de frustration, soit de prendre sa revanche sociale en sortant de sa condition, voire d’un emploi subalterne, ou tout simplement d’être enfin “écouté” et “considéré” puisqu’étudiant et bientôt diplômé ou encore terminer un cursus engagé et interrompu. C’est quelquefois même “une deuxième naissance”, une occasion de se rassurer (se ré-assurer) sur son niveau et la légitimité de sa place, de se confronter à soi-même et de “se prouver qu’on est capable”[26].
Mais l’accès à l’université peut être aussi une occasion de “vérification” et de “mise en ordre des connaissances” acquises au hasard des parcours de vie. Ou encore, dans le cadre d’une trajectoire militante et de “culture de propagande” un moyen d’accéder à la “vraie culture” et qui permet, dans le cadre d’une reconversion, de “ne pas retourner à l’usine”. Il est clair, et, l’auteur nous le confirme que parmi ceux qui choisissent l’université comme lieu d’exercice de leur initiative apprenante, beaucoup le font parce qu’ils la considèrent comme “seul vrai dispensateur, à leurs yeux, de la culture lettrée”[27], voire comme le lieu des savoirs non instrumentalisés et/ou réduits à des logiques adaptatrices de court terme.
La réponse de l’université
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Rappelons tout d’abord que la mission de formation continue des SCFC des universités ne concerne pas que l’initiative personnelle, même si elle l’a quelquefois, souvent sous-estimée. Comme, le rappelle Michel Feutrie[28], l’offre de formation continue universitaire tente de répondre à quatre types de demandes, celles des individus, des entreprises, des pouvoirs publics, des acteurs locaux, ce qui complexifie la donne, et oblige à replacer la réponse à cette demande individuelle dans un système parfois contradictoire.
Néanmoins, au regard d’une demande aussi diffuse et aussi protéiforme des individus, qu’elles furent, ou ne furent pas, les réponses de l’université ?
La connaissance de l’inadaptation des structures universitaires de formation à la demande individuelle renvoie à un constat partagé par l’ensemble des acteurs : usagers, financeurs, formateurs, conseillers… Dès la fin des années quatre-vingt, l’OCDE notait au plan international que “bien que la demande d’instruction et de formation des adultes ne cesse d’augmenter, nombre d’établissements d’enseignement supérieur sont peu préparés à s’y adapter et à prendre les mesures qui conviennent pour se conformer aux besoins d’instruction et à la situation particulière des adultes” et de poursuivre : “les auteurs des rapports nationaux ont clairement reconnu que les procédures ordinaires d’admission ne convenaient souvent pas à des candidats adultes, mais les divers systèmes d’enseignement supérieur sont loin d’avoir tous témoignés du même souci de surmonter cet inconvénient”[29]. Au plan local, la revue Flash Formation Continue en 1989 incitait les services de formation à  “améliorer l’accueil, l’orientation, les conditions d’études”, à la “modularisations des formations et à l’élaboration d’itinéraires de formation personnalisés, outils pédagogiques innovants”[30].
Malgré des intentions affichées par des équipes investies, il faut reconnaître de réelles difficultés de mise en Å“uvre et des avancées très relatives à ce jour. Depuis 1987, si la situation s’est améliorée, certaines universités sont mal préparées techniquement, pédagogiquement et idéologiquement à l’accueil des publics de formation permanente. En 1999, dans un article intitulé Innovation et tendances dans la formation continue, j’insistai encore sur la nécessité absolue d’organiser “une gestion individualisée des parcours” et d’offrir “des possibilités d’entrée et de sortie permanente des dispositifs”[31] que j’estime encore trop rare aujourd’hui. Même remarque de Jean-François Germe, directeur du centre d’étude de l’emploi, en février 2003, qui déclarait : “l’ouverture aux publics adultes ne se fait pas très rapidement. Le problème ne porte pas seulement sur l’accès des adultes aux dispositifs de formation continue proposés par les universités mais aussi, et surtout, sur la difficile intégration des actifs dans les filières classiques de formation initiale”[32].
Si la réponse à l’initiative individuelle des universités apparaît plus adaptée dans les dispositifs de formation continue spécifiques que pour un accès en “formation initiale”, le problème reste largement posé. Il implique une triple réponse, d’abord politique puis pédagogique et technique. Politique, au sens où les Présidents doivent s’emparer de la question de l’éducation permanente et tout mettre en Å“uvre pour qu’elle devienne bien l’une des missions conférées par la loi aux établissements. Il s’agit donc d’abandonner les discours de circonstances et de bon ton et de dégager, enfin, des moyens significatifs favorisant une réelle place de cette activité à l’université. Le devenir et le renouveau de l’image de l’enseignement supérieur public tient, sans doute, pour une part à cette volonté. L’autre réponse est d’ordre pédagogique. Il convient en effet, d’abord et avant tout, ce qui n’est pas dans la tradition universitaire, d’individualiser les réponses, de singulariser les parcours. La VAE, si elle se développe pourrait être le moteur de cette évolution dans la mesure où elle est par essence une réponse singulière à un projet personnel[33] et qui grâce aux pratiques de prescriptions de jury devrait permettre d’affiner la réponse au regard des intérêts et des potentiels des candidats. Les formations ouvertes et à distances (FOAD), quant à elles, seront sans doute un second vecteur, exigeant une réelle part d’individualisation en matière de rythme, de contenus… Au-delà , il est indispensable de relancer une réflexion sur l’accueil, sur l’évaluation et sur la mise en place de pratiques “pédagogiques” universitaires adaptés aux adultes et en lien avec leur expérience, de réfléchir à des modes d’acquisition autonomes et auto-organisés du savoir dans le cadre de cursus modularisés, voire de renoncer à la réductrice mono-disciplinarité. Il convient aussi, d’engager dans le même mouvement, une remise en perspective du métier d’enseignant afin d’en faire de réels facilitateurs d’apprentissage. En bref, tout chose que l’on sait fort bien et depuis fort longtemps d’ailleurs. Enfin, une réponse technique est souhaitable en matière de souplesse d’inscription, d’accès au service, de modalités de traitement des adultes à l’université, etc. Au demeurant, toutes ces évolutions devront dans l’avenir faire preuve de capacités de flexibilité et de souplesse de façon à s’adapter “au fur et à mesure, de l’évolution des textes, des dispositifs et des pratiques, aux difficultés rencontrées par les personnes, salariées ou non, pour exprimer, élaborer et mener à bien un projet individuel de formation”[34].
Que conclure ?
Au XXe siècle, la rencontre de l’université et de la formation tout au long de la vie fut l’histoire à la fois d’un rendez-vous manqué et sans cesse repoussé et celle de promesses non tenues malgré la volonté forte et l’action de minorités actives. La première décennie de ce nouveau siècle, devra être celle de l’ouverture massive de l’université à ces étudiants “atypiques” que sont les usagers de la formation continue qui, soulignons-le, au delà des savoirs, viennent aussi fréquemment à la recherche d’une certification sous forme d’un diplôme socialement garanti. Il s’agit là d’un enjeu capital de société et d’un défi à relever pour les universités si elles veulent enfin échapper “aux logiques lourdes de la reproduction[35]” sociales et participer dans un processus plus égalitaire au mouvement des sociétés et au renouvellement des savoirs dans le cadre d’une incontournable formation tout au long de la vie favorisant à la fois la qualification et l’épanouissement de tous et de chacun. Objectifs accessibles si les universités se dotent de moyens significatifs visant à répondre à une demande individuelle toujours plus forte et toujours plus capable d’auto-éducation. En bref, les universités pour relever ce défi et remplir leur mission d’éducation permanente et continue devraient engager une transformation radicale de leurs pratiques en vue de devenir à terme des espaces facilitateurs, au sens rogérien, et permettre ainsi aux apprenants atypiques (aux autres aussi d’ailleurs) de devenir les acteurs-auteurs de leur formation. En bref, aboutir à ce que Jacques Delors proposait dès 1976 dans un commentaire de la Loi de juillet 1971, à savoir : “de permettre à chaque homme et à chaque femme de maîtriser sa vie, c’est-à -dire d’élever son niveau culturel et, (…), d’aboutir à une sorte d’autogestion de sa propre existence”[36]. Souhaitons qu’il soit entendu dans les négociations qui s’engagent aujourd’hui et que s’ouvre une nouvelle ère, celle d’un droit individuel à la formation, transférable et garanti collectivement.
Hugues Lenoir
CEP-CREF-CRIEP
Paris X
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TERROT Noël, POIRIER Yves, MEDINAT Jean-Yves, RENAUD Maurice, De nouveaux étudiants à l’université, Flash formation continue,n° 380,mars 1994, pp. 10-16.
[1] Cf. Bibliographie exhaustive en fin de texte.
[2] Béduwé C., Espinasse J.-M., L’université et ses publics, Éducation et formation, n° 40, mars 1995, p. 46.
[3] Terrot N., L’inscription de l’éducation permanente dans les universités : du militantisme individuel à l’engagement institutionnel, Education permanente, n° 149, 2001-4.
[4] Décret n°94-694.
[5] Veilhan A., Oumer J., Accès des adultes à l’Université : le DAEU, Actualité de la formation permanente,
n° 162, septembre-octobre, 1999
[6] La promotion sociale et l’enseignement supérieur, Flash Formation Continue, CUIDEP, n° 117, 15 janvier 1981.
[7] Fond-Harmant L. (1996), Des adultes à l’université : cadre institutionnel et dimensions biographiques, Paris, L’Harmattan, pp. 37-38.
[8] Feutrie M., La formation continue demain, une mission centrale pour les universités, Actualité de la formation permanente, n° 162, septembre-octobre, 1999, p. 33.
[9] La promotion sociale et l’enseignement supérieur, op. cit.
[10] Par exemple, les AFR et aujourd’hui dans une moindre mesure le Pare et le Pap.
[11] Je fais l’hypothèse que malgré la conjoncture actuelle, ponctuellement défavorable, le mouvement structurel et centenaire de diminution du temps de travail reprendra inexorablement sa marche.
[12] OCDE (1987), Les adultes et l’enseignement supérieur, Paris, OCDE, p. 17.
[13] A l’université : un public nouveau, Flash Formation Continue, CUIDEP, n° 288, 1er juillet 1989, pp. 11-12.
[14] De nouveaux étudiants à l’Université, Flash Formation Continue, CUIDEP, n° 380, 1er mars 1994,p. 10.
[15] Béduwé C., Espinasse J.-M., L’université et ses publics, op. cit., pp. 34-35.
[16] Vasconcelos M., Chômage et formation : les personnes privées d’emploi à l’Université, Actualité de la formation permanente, n° 63, mars-avril 1983, p.62.
[17] Sur ce point consulter les nombreux travaux du CEREQ.
[18] OCDE (1987), Les adultes et l’enseignement supérieur, op. cit.
[19] Carré P. (2001), dir., De la motivation à la formation, Paris, L’Harmattan.
[20] Lecoutre Marc, Formation initiale ou formation continue : questions autour du phénomène de reprises d’études dans l’enseignement supérieur in Clasquin B. et Lhotel H., La formation professionnelle continue : tendances et perspectives,Marseille, CEREQ, sept. 1998.
[21] Feutrie M., La formation continue universitaire, 2001, une nouvelle Odyssée ? Pour, n° 162, juin 1999,
p. 86.
[22] OCDE (1987), op. cit., p. 21.
[23] Fond-Harmant L. (1996), Des adultes à l’université : cadre institutionnel et dimensions biographiques, Paris, L’Harmattan, pp. 128, 241, 249.
[24] Poliak-Fossé Claude (1989), Des autodidactes à l’Université : exclusion et insertion scolaires, Paris, Centre de sociologie urbaine, CNRS.
[25] Tous les termes en italique sont empruntés à C. Poliak-Fossé, op. cit.
[26] J’ai retrouvé des logiques de ce types à l’Å“uvre dans les usages que les individus font de la validation des acquis. Voir Lenoir H., Validation des acquis, les usages sociaux(volet qualitatif), Actualité de la formation permanente, n° 163, novembre-décembre, 1999, pp. 8-16. et Usages sociaux de la validation des acquis professionnels (loi de 1992), (volet quantitatif), Actualité de la formation permanente, n° 167, juillet-août, 2000, pp. 8-12.,
[27] Poliak-Fossé C., op. cit., p.213.
[28] Feutrie M., La formation continue universitaire, 2001, une nouvelle Odyssée ?Pour, op. cit., pp. 89-90.
[29] OCDE (1987), op. cit., p. 26.
[30] A l’université : un public nouveau, Flash Formation Continue, op. cit.
[31] Lenoir H., Innovation et tendances dans la formation, Actualité de la formation permanente, n° 162, septembre-octobre, 1999, p. 45.
[32] Mobilité professionnelle : “la formation continue n’occupe pas la place qu’elle devrait”…, Dépêche AEF,
7 février 2003.
[33] Lenoir H., La VAE : une nouvelle donne pour l’Université, à paraître in Connexions n° 78, 2003.
[34] Feutrie M., La formation continue universitaire, 2001, une nouvelle Odyssée ?Pour, op. cit., p. 86.
[35] Lecoutre M., op cit, p. 106.
[36] Delors J., Genèse d’une loi et stratégie du changement, Connexions, n° 17, 1976, cité par Fond-Harmant L., op. cit., p. 263.