Langue et Culture : s’exprimer pour se faire comprendre

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Colloque régional en Grand Est "Langue et culture : s’exprimer et se faire comprendre"Que du bonheur !

En effet, ce 26ᵉ colloque fut un grand moment de plaisir partagé et cet appel « que du bonheur »

Fut à maintes reprises lancée par la poétesse et conteuse Tata Milouda. Elle nous fit voyager de son Maroc natal, de sa prison sans barreau, car elle y fut « prisonnière sans prison » jusqu’aux confins du territoire de l’alphabétisation et de l’émancipation par l’éducation et la culture. Poétesse, certes, mais consciente du chemin parcouru et des difficultés pour sortir des contraintes sociales imposées par des pratiques ancestrales.

Aussi, entre deux moments de contes et d’anecdotes, elle prononça quelques phrases de portée universelle. « On m’a volé mon enfance, on m’a volé mon adolescence, mais ils ne pouvaient pas voler mon intelligence ». Tata Milouda ajoute : « lire, écrire, dire pour oublier le passé, pour aller plus loin, pour faire plaisir ».

Déscolarisation

Ses propos sont une parfaite illustration du thème retenu cette année 2022, à savoir S’exprimer et se faire comprendre. Dès le début du colloque, il fut rappelé qu’il était possible d’apprendre à tout âge et que le pari de l’éducabilité cognitive pouvait être gagné, comme le parcours de la poétesse le confirma lorsqu’elle nous rappela que son parcours en lecture-écriture commença à 50 ans.

Catherine Hertault inscrit son travail dans la même dynamique. Pour elle, l’écriture permet de « transformer la réalité au service d’un projet humain ». Son écriture filmique va dans ce sens, car au travers l’image, elle s’évertue à faire comprendre aux allophones nos codes sociaux et nos habitus afin de faciliter l’insertion dans un monde complexe pour ces « Étranges étrangers »1.

Mais surtout, sa pédagogique fondée sur l’apprentissage du français par la fiction réaffirme avec force la place de la culture dans les apprentissages fondamentaux et la nécessaire déscolarisation de l’éducation des adultes. Principe de déscolarisation et du droit à l’erreur affirmée aussi par Claire Lefaucher qui anime des ateliers de conversation.

Atelier qui fonctionne sur le principe de la Liberté pour apprendre2, car la « conversation libre facilite les apprentissages ». C. Lefaucher pointa aussi deux difficultés majeures des apprentissages linguistiques : le premier pour des personnes étrangères « maîtrisant », à la sortie d’études secondaires, la langue de Molière, mais en grande difficulté quant à la compréhension et au maniement du Français vernaculaire ; le second est celui de l’érosion des capacités linguistiques suite au non-usage de la langue.

Processus bien connu en matière d’illettrisme récurrent, mais qui fut constaté par les animatrices des ateliers de conversation à la sortie du confinement Covid. Ce constat milite en la faveur de dispositifs pérennes pour l’ensemble des populations en difficultés linguistiques.

Écrire, parler

Il convient de rappeler ici que le langage articulé d’homo-sapiens est bien antérieur à l’apparition de l’écrit qui à l’échelle humaine est une invention bien récente. L’écriture fut d’ailleurs dans un premier temps l’acte de quelques scribes au service du contrôle princier. Un outil non pas, comme le disait une participante, « pour écrire des lettres d’amour » mais pour nommer et comptabiliser les richesses amassées ; esclaves, grains, etc.

Puis par la suite graver les lois dans la glaise et stabiliser les mythes souvent de tradition orale évoqués par Bruno Tessarech. L’écriture permet donc de laisser une trace, mais aussi de tracer au sens moderne, nos SMS n’en sont qu’une illustration contemporaine.

Quant à la parole, elle, dit quelque chose de son locuteur, elle « engage » l’individu, participe de son identité et révèle des éléments de posture. Communiquer, parler, user des mots donne donc à voir de soi.

Pour lui, la parole renvoie à notre humanité, l’écrit à la société et ses codes et nos silences à notre intériorité. Il faut toutefois accepter aussi que quelquefois nos silences font signes et significations.

Et si aujourd’hui « parler c’est dire je » et pouvoir « rencontrer l’autre » comme l’a souligné Michel Legros, la liberté parole dans de nombreux lieux est encore à conquérir et à protéger toujours.

Un texte de Marie Treps fut lu en son absence. Un texte fort qui mit à jour les détournements de sens de certains mots empruntés (volés ?) à d’autres cultures. Des mots nobles, transformés, détournés, dévoyés, retournés pour qualifier l’autre, pour le disqualifier.

Un fait bien souvent colonial, récurrent afin de stigmatiser « l’indigène » et de réduire une culture à quelques représentations simplificatrices.

Mais un autre regard est aussi possible. Toujours selon M. Treps, les mots sont passeurs de culture et permettent au français d’être « multicolore » grâce aux emprunts faits à d’autres langues.

C’est sans doute le principal. Oublions donc les mots qui « font mal » au profit de ceux qui humanisent et éclairent une langue d’autres soleils. Mots qui pour la conteuse Catherine Pierrejean permettent d’oser, de s’engager sur le chemin de l’émancipation.

Les Mots des femmes d’Iran « Vie, femme, liberté » qui joignent le geste à la parole en sont une preuve irréfutable. Quant à Christian Levry, il nous fit entendre la voix des tambours. Le son du djembé, autre forme d’expression pour s’exprimer et se faire comprendre.

Regret conclusif

Malgré la richesse de ce colloque et des échanges qui eurent lieu avec les participants autour de l’écrit et de la parole : gestuelle, mimiques, attitudes corporelles et regards signifiants furent absents. Pourtant, nous savons que d’une culture à l’autre, un même geste, une même mimique peuvent prendre des significations diamétralement opposées et conduire à des incompréhensions, voire à des conflits.

Expression non-verbale et proxémique sont aussi un moyen d’expression, une clé pour se faire entendre et comprendre. Problématiques du geste et de la posture qu’un apprentissage de la langue par la culture devrait davantage aborder.

Dis-moi dix mots, édition 2023, a retenu pour thème « A tous les temps ». Les textes qui à cette occasion seront produits, j’en suis sûr, apporterons à leurs scripteurs et à leurs lecteurs « Que du bonheur ».

1 Poème de Jacques Prévert, 1951.

2 Titre d’un ouvrage de Carl Rogers, 1973.

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