Vitruve : rassemblée générale, une autre école est possible.

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J’ai longtemps habité dans un coin du monde appelé Réunion. Ma vie s’y est éparpillée et rassemblée. C’est un lieu où l’on me désigne encore sous mon vrai nom : Gégé de Vitruve.Vitruve : rassemblée générale,
Une autre école est possible.

Tel est le titre de l’ouvrage commis par Gérard Delbet dit Gégé de Vitruve qui fit toute sa carrière dans cette école parisienne emblématique d’une pédagogie de l’autonomie et de l’émancipation, d’abord pour les enfants qui y furent scolarisés et pour les professionnels de l’éducation qui y œuvrèrent. Rassemblée générale, hormis le clin d’œil à une pratique scolaire et sociale essentielle, tel est le cas, car Gégé a réuni dans son livre des textes, souvent les siens, mais pas que, produits dans et autour de l’école entre 1979 et 2018. L’ouvrage commence par une brève introduction où l’auteur nous raconte que ne pouvant pas devenir peintre en lettres, il devint instituteur et dompteur de lettres pour lui et les enfants.

Il nous rappelle aussi que l’école Vitruve est une école publique de 240 enfants née dans un quartier populaire, dans le 20ᵉ arrondissement de Paris, en 1962, à l’initiative d’un inspecteur de l’éducation (et oui, tout arrive), Robert Gloton. Gégé n’y entra qu’en 1976 et s’intégra dans une école dont il souligne les caractéristiques : « remise en cause de la discipline traditionnelle et du contenu de l’enseignement, du statut de l’enfant et du maître, projets de production et de service, usage de l’école dans son entière disposition puis du quartier proche comme territoire éducatif » (p.11)

En d’autres termes, c’est une école ouverte dans et sur le quartier et ses habitants comme déjà Henri Roorda le préconisait.  Autrement dit, une école qui se veut et est différente. École qui s’inscrit et se revendique de Paul Robin, Sébastien Faure, Célestin Freinet ou Ovide Decroly (p.12) sans pour autant accepter de « gourou pédagogique » ou de « maître à penser ».

L’équipe considérant qu’elle est « sa propre ressource et sa véritable ressource » (p.15). En bref, une école sans dogme, mais sincère et scrupuleuse sur ses pratiques, et surtout une école-projet où le collectif prévaut sur la traditionnelle classe où s’isolent professeur des écoles et enfants et où le « maître » s’enferme « dans la certitude d’une production des savoirs qui ne s’opérerait que dans la classe » (p.98).

À Vitruve, ce n’est pas « une juxtaposition de propriétaires de classes » (p.143), on vit le collectif enfants-parents-instits-quartier, il s’agit d’y faire école, pas de faire classe, une tout autre philosophie de l’éducation.

De fait, le livre de Gégé est un livre de souvenirs quelquefois politiques comme pour ce départ des enfants en classe verte ou poétique comme ce carnaval des enfants ou « traviole » autour de la place de la Réunion et le lien permanent entretenu entre Vitruve et Venise.

Mais c’est aussi un ouvrage de réflexions qui soulèvent des questions pédagogiques fondamentales encore aujourd’hui comme celle de l’autogestion pédagogique (p.67), de l’entreprendre pour apprendre » (p.74), celle d’une école « Sans discrimination. Sans compétition » (p.95).

Ou encore celle de la place et de la fonction des conseils d’enfants considérés comme un espace d’apprentissage, « un espace de pratique quotidienne de la démocratie […] un lieu d’émancipation […] qui produit de l’émancipation » (pp.88-89) tel que James Guillaume dès 1876 l’avait imaginé.

Gégé relance aussi, après d’autres, quelques débats pédagogiques et sociétaux élémentaires toujours vifs comme « l’espoir des opprimés de retourner le savoir de la classe dominante pour en faire un instrument de libération [et qui n’est peut-être qu’une] illusion » (p.167) ou encore que « le problème fondamental n’est pas l’accès au savoir, mais l’accès à la production de savoir (p.168). Il s’autorise aussi, l’expérience aidant, quelques piques bien senties sur sa corporation qui selon lui ne changera pas de sitôt.

En effet, elle dit qu’elle « ne veut plus subir les réformes venues d’en haut […] Sauf qu’[elle] ne fait rien non plus pour qu’on voie arriver des réformes d’en bas » (p.177), constate l’auteur. Il y réaffirme aussi avec force la nécessité de « créoliser » [sic] l’école, toutes les écoles, c’est-à-dire de les ouvrir jour et nuit aux usages multiples des habitants pour le savoir, la culture, la fête et l’amitié, de les ouvrir aux grands et aux petits pour leur rendre leur « rôle essentiel d’éducateur » (p.180). En bref, pour en faire de vrais espaces d’éducation populaire où les enfants pourront rompre avec leur « statut de minus surprotégés et irresponsables » (p.224) imposé par la famille, l’école et les institutions en tout genre.

Pour conclure, un livre parfois émouvant, quelquefois polémique, toujours « pédagogique » (Gégé n’aime pas le terme) sans être donneur de leçons, bâti sûr et autour d’une école et d’un quartier mélangé, créolisé qui porte le beau nom de Réunion.
C’est aussi un beau parcours d’éducateur, fait de pratiques et de réflexions toujours au service des enfants, mais pas seulement, et d’une autre conception d’une éducation ouverte, aventureuse, toujours en construction.

 

Gérard Delbet dit Gégé de Vitruve, 2019, Vitruve : rassemblée générale, St-Etienne de Fougères, Les Editions du bord du Lot, à Publico, 18 €.

 

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