Pédagogies critiques ?
Ce petit ouvrage coordonné par Laurence de Cock et Irène Peirera qui seules d’ailleurs apparaissent en couverture est de fait un ouvrage collectif. On peut d’ailleurs regretter que les noms des auteur-e-s ne soient pas mentionner en tête des différents chapitres du livre même si une courte présentation en fin d’ouvrage permet de les situer. Quant au titre, il eut été souhaitable de ne pas se limiter à et de mentionner critiques et émancipatrices. En effet, la droite et la droite fascisante ne se gênent pas pour développer des pédagogies « critiques » ou pour clouer au pilori les pédagogies anti-autoritaires. Il suffit pour s’en persuader de lire les textes des réacs-publicains et la prose infâme d’un Finfielkraut et d’autres encore. Certes, dès les premières pages les pédagogies critiques sont positionnées dans un « vaste mouvement d’éducation émancipatrice » (p.15) visant à la prise de conscience des oppressions et les auteures précisent que Paolo Freire fut à l’origine de cette appellation. Néanmoins, même si ces pédagogies se veulent critiques et en réaction au néolibéralisme en éducation un titre plus explicite eût été le bienvenu.
Le premier chapitre fait un rapide parallèle entre Freinet et Freire, utile rapprochement et proximité réelle dans les pratiques pédagogiques. En particulier, la dénonciation du « gavage » des élèves par le premier et la conception « bancaire » de l’éducation par l’autre. Il n’en reste pas moins que si les deux hommes avaient des points communs l’un était issu du courant social-chrétien (même si sa grille d’analyse est marxienne) et l’autre de la tradition communiste, ce qui n’est pas précisé. Origines qui peut nous laisser penser que la démocratie évoquée par l’un et l’autre était probablement et sensiblement de nature différente. Au reste, il est vrai que tous deux étaient sans illusion sur la neutralité de l’éducation et que tous deux œuvraient à une réelle « compréhension sociale » (p 34) du monde par les apprenants eux-mêmes. Reprenant par-là la grande idée de Pelloutier quant à la nécessité, pour s’engager sur le chemin de l’émancipation, de connaître la « science de son malheur ».
Le chapitre 2, nous entraîne dans un panorama des pédagogies critiques dont l’idée centrale n’est pas inintéressante, celle qui consiste à dire que ce ne sont pas les seuls opprimés qui doivent prendre conscience de leur situation mais aussi ceux et celles qui sont dans des postions sociales plus confortables afin de lutter contre les dominations éventuellement inconscientes de leur fait. Ce qui est par contre insupportable c’est d’oublier que ces derniers sont aussi souvent sujet de la domination et de considérer leur situation comme des « privilèges » (p. 38) est des plus réducteur. Suit une énumération des sous-catégories de la pédagogie intersectionnelle qui de fait n’apporte pas grand-chose à ceux et celles qui se sont engagés dans la pédagogie émancipatrice. En effet ses sous-catégories visent soit à « mettre en cause les savoirs élaborés depuis la position de domination » (pp.46-47), Ferrer le proposait déjà, soit « une critique de la reproduction des inégalités de classe sociale à l’école » (p.47), soit à « développer chez les élèves une conscience mondiale leur permettant de saisir les problèmes écologiques à un niveau systémique » (p.48-49). De facto, ce que font depuis un siècle les éducationnistes libertaires et anti-autoritaires.
Quant à la pédagogie féministe présentée dans le chapitre 3, on peut s’interroger sur le bienfondé de ce qualificatif même si des pratiques pédagogiques intéressantes sont ici évoquées. Il s’agit en fait de lutter contre les normes et les assignations de genres (p.61) imposées dans et par l’éducation et de mettre en place des stratégies pédagogiques afin de réaliser l’égalité, entre fille et garçon dans tous les domaines de la vie. En bref, le projet des éducateur-es libertaires. Le chapitre 4 nous amène sur un tout autre terrain, celui d’une pédagogique critique de l’histoire coloniale nationale. Là encore de saines intentions déjà partagées par de nombreux éducateur-es. A savoir « questionner la construction de récits historiques européocentrés » (p.67) et les catégories de pensée qu’ils induisent. En d’autres termes, il est essentiel de « questionner l’évidence des récits historiques dominants » (p.72). Tous les libertaires en sont conscients depuis longtemps, l’histoire des « maîtres » n’est pas la nôtre et tous ceux qui se sont essayés à l’enseigner ont toujours tenter une telle déconstruction à des fins de réappropriation de l’histoire par les opprimés eux-mêmes. Au reste et au regard d’un néo-colonialisme culturel dominant, il est bon de rappeler qu’une « histoire nationale n’est possible que connectée au reste du monde » (p.83).
Le chapitre suivant met le lecteur en garde contre la récupération des pédagogies alternatives par les libéraux de l’OCDE et du MEDEF en rappelant que le capitalisme contemporain a besoin d’une main d’œuvre plus créative, plus participative voire plus critique… mais jusqu’à un certain point. Il ne s’agit pas là de mener à l’émancipation mais de conformer la main-d’œuvre à de nouvelles exigences de l’appareil de production. L’école de Ferry en d’autres temps n’avait pas d’autres objectifs. Néanmoins, restons vigilant et veillons à ce que nos pédagogies alternatives soient toujours articulées avec le souci de l’épanouissement des individus et avec notre projet politique libertaire et non assujetties à la production et à la plus-value sur le travail. Un dernier chapitre est consacré à l’Education populaire qu’il convient de se réapproprier et d’ancrer dans des pratiques collectives de conscientisation émancipatrice articulées à des actions concrètes visant à combattre les situations de domination et/ou d’exclusion (p.111). Rien de bien nouveau donc si ce n’est une illustration intéressant, celle de City life/Vida urbana aux USA et un rappel, peut-être essentiel, l’Educ-pop devrait avoir pour finalité des actions effective « pour transformer la société » (p.102) et non pas se contenter d’être un vecteur culturel.
Certes, il s’agit bien de lutter contre toutes les formes de domination (de genre, de « race », de classes…) et de « faire valoir sans prescrire » (p.123) en valorisant le collectif et en refusant la sur-héroïsation de tel-le ou tel-le, Louise Michel y compris. N’est-ce pas là la vieille ambition, toujours renouvelée des éducationnistes anarchistes ?
En résumé, malgré quelques bonnes idées et parfois des analyses pertinentes, un livre un peu fourre-tout où le saucissonnage pédagogique n’apporte pas vraiment un renouveau de la pensée éducative et peut-être risque de la renfermée sur des logiques « identitaires », sectorielles, rendant par-là l’émancipation collective problématique.
Cock L ; (de) et Peirera I. et alii, 2019, Les pédagogies critiques, Marseille, Agone, en vente à Publico, 12 euros.