L’Éducation libertaire, une manifestation constructive et permanente de l’anarchisme social.

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L’Éducation libertaire

Une manifestation constructive et permanente de l’anarchisme social.

 

« L’éducation a pour but d’éduquer l’enfant pour qu’il puisse accomplir la destinée qu’il jugera la meilleure, de telle façon qu’en toute occasion, il puisse juger librement de la conduite à choisir et avoir une volonté assez forte pour confronter son action à ce jugement». Article « Éducation » de E. Delauney dans l’Encyclopédie anarchiste.

Parfaitement au clair sur les enjeux que représente l’éducation pour les pouvoirs politiques et cléricaux, en 1886, Pelloutier considère qu’elle est le meilleur instrument de domination de l’État. Par conséquent, le syndicalisme, qui est l’outil naturel d’émancipation de la classe ouvrière, doit maîtriser le fait éducatif pour le libérer de la tutelle des pouvoirs et, du même coup, œuvrer à la liberté de tous. C’est pourquoi Pelloutier militera pour que les Bourses du travail deviennent un lieu d’éducation des travailleurs et que l’éducation soit l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Il s’agit donc, non seulement d’ «instruire pour révolter», mais aussi de qualifier pour mieux résister et, à terme, de construire le socialisme dans la liberté.

Si « la liberté est le couronnement de l’édifice éducatif », former l’esprit « c’est le mettre en garde contre toutes les causes subjectives (intérêt personnel, amour-propre, paresse, dépendance d’autrui, principes dogmatiques, goût du merveilleux), qui nous empêchent d’observer et de juger ou nous induisent en erreur dans nos observations et nos jugements. » Article « Éducation » de E. Delauney dans l’Encyclopédie anarchiste.

Ainsi, le but de l’éducation libertaire, et a fortiori de la pédagogie libertaire, consiste à participer à l’élaboration d’un individu libre – libre d’agir et de penser – et capable de produire un discours critique sur ses propres choix. En cela, le projet anarchiste d’éducation n’est pas une tête bien pleine mais un tête bien faite qui offre à l’individu tous les moyens d’analyse, de recul critique, d’action, tant dans la sphère du travail manuel que dans celle de la pensée et du travail intellectuel.

La finalité essentielle de ce processus de l’éducation par la liberté consiste en ce que l’individu, au fur et à mesure du travail éducatif, participe de plus en plus à l’organisation et à la production de ses savoirs. L’éducateur n’est plus là pour transmettre un savoir académique, issu de directives et de programmes autoritaires, mais pour favoriser chez les apprenants la production de connaissance en fonction de leurs centres d’intérêt ou de leurs préoccupations du moment. L’enseignant disparaît en se décentrant, et devient un aide à l’apprentissage qui n’a pour mission que d’aider les apprenants « à trouver les réponses à leurs questions, soit dans l’expérience, soit dans les réunions avec les camarades, soit dans les livres et le plus rarement possible à leur répondre directement eux-mêmes » (Paul Robin).

L’éducation libertaire s’affirme comme une pédagogie rationaliste, voire scientifique qui refuse de faire de l’enfant, et plus tard de l’adulte, un croyant en l’anarchie. Elle prône un individu qui après analyse et réflexion tentera, éventuellement avec d’autres, de construire l’anarchisme. L’éducation, en cela, est co-constituante de l’anarchisme, puisqu’elle vise à autoriser l’individu à se produire en tant que personne autonome, soucieuse de développer par la connaissance et la connaissance de soi, sa liberté et la liberté des autres, et qu’elle se propose de donner à tous et à toutes un espace dans lequel se réaliser socialement et professionnellement.

Au-delà de la modernité et de l’idéalisme du propos, il convient de souligner que le projet libertaire remet fondamentalement en cause le statut du couple savoir/pouvoir dans la situation éducative. C’est pourquoi, elle fut et elle est encore, en de nombreux lieux, dérangeante et anticipatrice des sociétés futures. En effet, sans se leurrer non plus, le pouvoir n’appartient plus, ou plus complètement, à celui qui sait (l’enseignant), mais, en principe, à tous et à toutes. Le savoir est la résultante, non plus d’une assimilation passive, mais d’un travail individuel socialisé ou d’une activité collective.

 

Pour clore cette évocation rapide de quelques principes de pédagogie libertaire, deux remarques s’imposent.

Premièrement, la pédagogie libertaire n’est pas une pédagogie de l’outil, mais une pédagogie de la démarche et de l’attitude. C’est-à-dire qu’elle ne fonde pas ses résultats sur l’objet de la médiation – tel ou tel livre, telle ou telle méthode, tel ou tel support – mais sur l’aptitude du groupe et de son animateur à mettre en œuvre un processus éducatif dans la liberté. Elle est une intention permanente en acte, d’où ses fragilités, et non pas une croyance dans l’infaillibilité de la méthode, d’où sa force. La pédagogie libertaire est une pédagogie pragmatique, non dogmatique, qui repose avant tout sur quelques principes simples et surtout sur la conscience et la participation active de ceux et de celles qui la mettent en œuvre.

Deuxièmement, la pédagogie libertaire n’a de sens que si elle est mise en acte, conçue et guidée par les apprenants eux-mêmes, en bref qu’elle est faite pour (et par) les éduqués et non pour (et par) l’éducateur. Il ne s’agit donc pas seulement de se faire plaisir, encore que cela soit aussi recommandé, mais d’agir dans l’intérêt des « citoyens en apprentissage ».

L’éducation libertaire est la plus belle des victoires

 

Même si du chemin reste à parcourir jusqu’à l’anarchisme, son influence fut constante et fertile. Ses propositions – autrefois immorales et révolutionnaires – ont largement irrigué les réflexions et les pratiques pédagogiques contemporaines. La pensée éducative libertaire a été pour une large part absorbée, digérée par la pensée pédagogique officielle : refus de la violence et de la toute-puissance du maître, recul de la contrainte, refus de la notation, pédagogie du projet, place de la parole et reconnaissance de l’autre, liberté pour apprendre… (résultantes des résolutions de l’AIT, des apports de Fourier, Proudhon, Ferrer, Robin et bien d’autres). Certes, elle y a perdu en pureté et en radicalisme ; la récupération et l’évolution des mœurs ont fait leur œuvre, mais la société en la récupérant a progressé tout entière et l’autoritarisme et le paternalisme d’antan ont largement reculé. Ses propositions continuent par ailleurs – ce qui démontre leur caractère émancipateur – à être combattues par tous les talibans de la pensée.

L’éducation et la pédagogie libertaire sont des principes en action, mais aussi en questionnement permanent, il va de soi, alors qu’elles se pratiquent en tout lieu, librement ou clandestinement, qu’il n’y a pas d’espace et de temps réservés à leur exercice, et que, sans le savoir, certains et certaines, soucieux du développement des enfants et des adultes, les pratiquent très bien.

Il s’agit désormais de faire franchir à la pédagogie libertaire un nouveau cap et de lui redonner vigueur et radicalité, voire de la renouveler afin qu’elle irrigue de nouveau les évolutions sociales. La revendication forte de l’autogestion pédagogique est sans doute une des pistes possibles. En se revendiquant et en pratiquant l’autogestion pédagogique dans et par l’éducation, les pratiques tendent au possible, les modes de gestion et de décision s’enracinent dans les actes et les pensées. L’autogestion devient une réalité tangible, une pratique sociale partagée, un lieu d’exercice d’une citoyenneté restaurée : reste à la déplacer du terrain de l’éducation au terrain socio-économique…

Avec la Ruche, Faure essaya de faire vivre une petite république éducative, en s’appuyant sur son autosuffisance économique et sur la solidarité active de structures et d’organisations sociales participant à son financement, comme l’a à nouveau tenté Bonaventure il y a quelques années. Cette volonté de « ne pas dépendre » parait essentielle, même si cela n’enlève rien aux autres expériences de pédagogie libertaire menées ici et là comme au Lycée autogéré de Paris, le LAP. Cette volonté apparaît aujourd’hui comme le seul moyen de doter les anarchistes de lieux éducatifs autonomes et, pour l’heure, propres au mouvement libertaire. En effet, autant les pouvoirs peuvent tolérer des structures éducatives dissidentes, marginales et libertaires, tant que celles-ci ne diffusent pas ou ne s’inscrivent pas dans un mouvement social puissant et organisé. Autant il est clair qu’ils mettront fin à ces expériences dès qu’elles représenteront une gêne ou un danger pour leur système. C’est pourquoi l’autosuffisance économique est essentielle à terme, c’est sans doute sur ces capacités d’autosuffisance, ancrées dans le social, que l’avenir de la pédagogie libertaire se joue. Que naissent donc cent petites républiques éducatives et que le syndicalisme révolutionnaire y agisse avec responsabilité.

 

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