Ça Coule de source

Il s’agit ici d’une réédition de l’Histoire d’un ruisseau d’Élisée Reclus, paru en 1869. Il est précédé d’une intéressante présentation de Valérie Chansigaud, elle-même libertaire reclusienne. Elle souligne à juste titre que ce texte « doit être replacé dans l’idéologie anarchiste qui émerge » au moment de sa parution et dont Reclus fut un infatigable porte-parole. Pour elle, ce texte est un hybride entre vulgarisation scientifique, « description géographique et revendication sociale ». Et c’est sans doute comme cela qu’il convient de la lire.

Avec l’histoire du ruisseau, Reclus nous entraîne dans un récit géographico-politico-poétique qu’il ponctue de remarques à caractère social. J’en livrerai ici quelques exemples parmi d’autres :

« dans nos écoles […] nombre de professeurs, sans trop le savoir […] cherchent à diminuer la valeur des jeunes gens en enlevant la force et l’originalité à leur pensée ».

Plus loin :Â

« quel triste retour n’a-t-on pas à faire sur les choses humaines, en songeant que tant de milliers et de millions d’enfants, bien constitués pour devenir des hommes, périssent encore au berceau, tués par l’ignorance et la misère ».

Mais aussi,

« la société ne cessera de souffrir […] aussi longtemps que les hommes […] n’auront pas tous, après la tâche quotidienne, une période de répit pour […] se maintenir ainsi dans leur dignité d’êtres libres et pensants ».

Ou encore,

« les ouvriers ne sont plus les enclaves de la machine de fer […]. Ils sont égaux et libres, ils sont leurs propres maîtres ».

Ainsi, au fil de l’eau et de l’histoire,

« les races et les peuplades diverses […] se rapprochent de plus en plus […] et elles commencent à regarder vers un idéal commun de justice et de liberté. Les peuples, devenus intelligents, apprendront certainement à s’associer en une fédération libre : l’humanité, jusqu’ici divisée en courants distincts, ne sera plus qu’un même fleuve ».

Au-delà du militant libertaire à « contre-courant », transparaît dans le texte aussi, Reclus, le végétarien et le précurseur d’une écologie sociale et politique pour qui l’eau est un bien commun dont on connaît les enjeux aujourd’hui.

Il écrit :

« dans l’avenir, […], nous saurons utiliser chaque goutte qui s’échappe du sol, chaque molécule qu’elle amène à la surface de la terre et nous lui assignerons son rôle pour le bien-être de l’humanité ».

Une agréable et rafraîchissante lecture d’été ponctuée de réflexions politiques et sociales.

Reclus, E., 2022 [1869], l’Histoire d’un ruisseau,suivi deDu sentiment de la nature dans les sociétés modernes, Paris, Le Pommier.