Anarchisme et Sciences sociales et renouveau de l’anarchisme ?

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Anarchisme et Sciences sociales et renouveau de l’anarchisme ?

L’ouvrage Anarchisme et Sciences sociales est le résultat d’un colloque organisé à Lille en 2018. Il tente souvent avec pertinence de tisser où plutôt de retisser les liens entre anarchisme et sciences sociales souvent ignorés ou marginalisés du fait de la pensée et des recherches hégémoniques du courant marxiste à l’université et chez les intellectuels durant la deuxième moitié du 20e siècle. Courant qui fut souvent animé, entre autres, d’une volonté de retirer à l’anarchisme toute légitimité sociale et scientifique. Impossible ici de résumer une douzaine de contributions savantes. Mais selon les auteurs de la préface, les échecs conjoints du libéralisme et de l’autoritarisme ont « rendu plus audible la critique radicale adressée par les anarchistes au capitalisme, au productivisme, aux religions et à l’Etat » ce qui a conduit les contributeurs à interroger l’apport de l’anarchisme aux sciences sociales et l’apport des sciences sociales à l’anarchisme. La première contribution me paraît essentielle, son auteur essaie de comprendre pourquoi des intellectuels incontournables des sciences sociales comme Lefort, Castoriadis, Rancière etc., après leur renoncement au marxisme, tout en se réclamant de la Commune de 1871 ou de la Révolution sociale espagnole de 36 n’ont jamais franchi le Rubicon d’une revendication anarchiste y compris critique ? L’auteur propose plusieurs hypothèses sur le fait qu’ils soient restés à la marge, l’une d’elle renvoie sans doute une histoire d’ego, la « volonté de se distancier de ce qui a précédé afin de mettre en avant l’originalité de sa propre pensée » ou encore selon moi le fait de ne pas accepter de reconnaître des « erreurs » de jeunesse ou encore de craindre un discrédit dans le monde universitaire.

Les articles suivants souvent passionnants comme celui qui met en parallèle d’un point de vue anthropologique économie du don et du contre-don et donc de la domination et économie du partage donc de l’égalité. A cette fin il cite les propos d’un inuit qui déclarait : « ici on ne dit pas merci, parce que c’est avec les cadeaux qu’on fait les esclaves, comme c’est avec le fouet qu’on dresse les chiens ». Un autre article autour de la sociologie de la connaissance offre une intéressante piste de réflexion autour d’idéologies et utopies. Les premières « incarnent […] l’effort de préservation de l’ordre existant tandis que les utopies sont l’expression de la créativité humaine et de la volonté de façonner l’histoire et la société ». Ce qui d’un point de vue anarchiste implique maintient et conquête de l’Etat pour les uns, suppression de celui-ci pour d’autres.

D’autres contributions mobilisent la sociologie, la géographie, l’histoire afin d’analyser et comprendre la (les) dialectique(s) entre anarchisme et sciences sociales. Un regret, aucun regard, même si elle est évoquée dans l’introduction, sur l’apport de l’éducation libertaire dans les Sciences humaines.

La question autour de laquelle tourne les contributions est (peut-être) de penser et pratiquer les sciences sociales en anarchiste – ce qui n’empêche ni méthode ni rigueur – pour penser, comprendre et construire autrement le social. En d’autres termes, il s’agit de sortir des sentiers aliénants des savoirs et des épistémologies légitimes qui entretiennent et reproduisent le monde tel qu’il est. Mais n’était-ce pas déjà ce à quoi Reclus, Kropotkine, Clastres et plus récemment Graeber et Scott nous invitaient. En d’autres termes, il convient de déconstruire la vieille science de la domination afin de trouver ou retrouver l’Homo Libertaris, celui de l’Entr’aide, seul en mesure d’élaborer les nouveaux paradigmes sociétaux et de l’émancipation.

Au reste, un livre qui donne à penser et qui peut faire avancer l’anarchisme d’une case sur l’échiquier social et intellectuel.

Collectif, 2021, Anarchisme et Sciences sociales, Verhaeghe S. (dir.), Lyon, ACL, à Publico

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