Écrire et laisser traces
Un livre étonnant que celui de Laurent Gallet, un livre fait d’une centaine de lettres d’anarchistes lyonnais entre 1880 et 1918. Un livre au titre énigmatique « À vous et à l’idée qui ne peut pas mourir ».
Si de nombreuses correspondances entre anarchistes ont disparu, à Lyon comme ailleurs, c’est qu’elles furent potentiellement une preuve d’appartenance à ce mouvement et donc susceptibles de faire « preuve » en cas de répression.
L’auteur est parvenu, grâce à sa collecte, à nous faire partager les témoignages de la militance quotidienne, il y a un siècle. Écrire pour commander journaux et brochures ; écrire pour revendiquer auprès de procureurs, ministres et autres directeurs de prison.
On y trouve la correspondance d’incarcérés suite au procès dès 66 en 1883, accusés d’attentat à la bombe, ou encore les lettres du bagne de l’anarchiste Civoct en Nouvelle-Calédonie ou celle de Codom condamné pour vol en Guyane.
On peut y lire encore des lettres envoyées aux autorités suite à une réunion interdite ou annonçant une pétition, voire des correspondances privées et amicales.
Deux ensembles de lettres sont particulièrement intéressants. La première est celle des antimilitaristes dont Jules Chazeaud enfermé pour la signature d’une affiche « rendant hommage » aux mutins du 17ᵉ régiment d’infanterie lors de la révolte des vignerons du Languedoc en 1907.
Lettre de protestation auprès du préfet afin d’obtenir le statut de prisonnier politique. La seconde est une suite de lettres de reniement où les auteurs font connaître aux autorités qu’ils ont renoncées à l’Idée et à toute fréquentation des milieux anarchistes afin que cesse leur surveillance policière.
S’agit-il de reniements réels ou de ruses pour avoir la paix et éventuellement ne pas perdre son emploi, selon Laurent Gallet la seconde hypothèse est plausible.
Tout au long de l’ouvrage, l’auteur mobilise un fort appareil de notes pour éclairer ces correspondances, avec quelques indications biographiques et des précisions sur les circonstances de l’arrestation des compagnons…
Ce livre archivistique a le mérite de nous permettre de partager et de conserver une partie de « notre » mémoire.
Laurent a fait le choix de maintenir l’orthographe des lettres originales, choix qui nous offre un bel échantillon d’écriture populaire qui, au-delà d’une forme académiquement imparfaite, est pleine de vigueur, de vérité et de sincérité.