Vous avez dit gestuelle et humour ?

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Atelier Canopé 51 - Reims - Réseau CanopéVous avez dit gestuelle et humour ?

Pour honorer une vieille habitude, le colloque Initialesde Reims, qui s’est déroulé à l’Atelier Canopé de la Marne, fut riche et innovant. Son titre Langue et culture : gestuelle et humour en langue française, nous invitait à réfléchir sur le part du non verbal dans notre expression avec autrui et à nous interroger sur les effets de nos traits d’humour sur notre communication.

Le déroulé du colloque a mis en évidence trois axes, un premier largement questionnant, un deuxième soulevant des pistes pédagogiques et andragogiques en matière d’acquisition de la langue française dans et par la culture, un troisième ouvrant des perspectives sociologiques et philosophiques.

Axe 1

Centré sur les micro-expressions des visages, l’intervention de Arnaud Debaisieux intitulé « Ne dis rien, je te dirai qui tu es »Â! visait à prouver qu’au travers des expressions fugaces des visages, un individu averti pouvait décoder l’état mental d’un individu entre vérité et mensonges, joie et colère, mépris et empathie, etc. Un tel pari repose, semble-t-il, sur de nombreuses observations – même si l’échantillon ne fut pas précisé – et sur sept émotions universelles. A savoir : joie, peur, tristesse, colère, surprise, dégoût, mépris.

Si je partage la réalité de ces sept émotions, je m’interroge sur leurs modalités d’expression des visages d’une culture à l’autre. La colère s’exprime telle de la même manière sur un visage asiatique ou un visage européen ; la surprise se manifeste-t-elle de manière identique sur un visage noir et sur des visages d’autres géographies, d’autres cultures et d’autres habitus ?

Il y a là un vrai débat et sans doute une source d’incertitude sur ce qui se donne à voir et à comprendre sur un visage lors des quelques secondes ou telle ou telle micro-mimique est supposée révéler l’état émotionnel d’une personne. L’interprétation de ces micro-expressions inconscientes et fugaces – qui repose sur une attention forte et une « écoute totale » – demande donc la plus grande prudence et le plus grand tact afin d’éviter toute interprétation approximative sinon faussée qui pourrait conduire à des réactions ou des conséquences négatives.

Certes, Arnaud Debaisieux a bien précisé « qu’on ne peut jamais être sûr »1 et qu’« on ne fait pas de miracle avec le décodage, avec le non-verbal ». Il n’en demeure pas moins que certains usages institutionnels ou personnels de ce décodage clandestin devraient rester sous-contrôle de ses utilisateurs afin d’éviter des dérapages nuisibles aux conséquences parfois délétères. En d’autres termes, le décryptage de ces expressions non-verbales ultra rapides ne relève pas d’une science exacte. Reste que la démonstration fut un beau spectacle.

Axe 2

L’axe deux porté par plusieurs interventions a ouvert ou rappelé quelques pistes pédagogiques ou andragogiques facilitant l’accès aux apprentissages et en l’occurrence à l’accès à la langue. Tout d’abord Joséphine Rémon a rappelé que tout travail éducatif au-delà des contenus devait se préoccuper de la forme ; à savoir « soigner le milieu » afin de créer un lien et de permettre la rencontre pédagogique.

Autrement dit, selon elle, trop souvent « le système scolaire fait les choses à l’envers » en se préoccupant avant tout du contenu et en négligeant la forme.

Rencontre pédagogique parfois facilitée par un geste ou un trait d’humour à destination de l’auditoire et qui, par-là, peut se sentir vraiment destinataire du message. Humour, teinté d’éthique, qui permet de poser l’autre comme « égal », donc de réduire l’asymétrie de pouvoir entre le supposé sachant et le ou les apprenant(s). Elle a par ailleurs, souligné que l’empathie facilite les apprentissages – comme l’a montré Carl Rogers en son temps dans un livre incontournable Liberté pour apprendre -.

Il s’agit de créer pour les apprenants un « lieu sûr », avec du confort et de la confiance aurait écrit Rogers, afin de permettre une rencontre entre un être humain et d’autres humains. Posture et relation indispensables à la disponibilité pour apprendre. Après avoir affirmé que pour maintenir l’intérêt des cerveaux pour les apprentissages, il fallait apporter régulièrement de nouveaux éléments didactiques, Joséphine Rémon a conclu son intervention en nous invitant à favoriser « la sur-présence », une disponibilité cognitive accrue des apprenants pour le contenu, en usant à bon escient de gestes, de postures ou de traits d’humour. En d’autres termes, de ponctuer le discours du maître d’éléments discordants et libérateurs.

De son côté, Adiel Goliot dans une belle démonstration a réaffirmé les quatre principes sur lesquels s’appuie sa pratique de formateur et de poète slameur. Ce métier repose selon lui sur une grande et permanente « adaptation du formateur », « une dédramatisation de l’erreur », « une valorisation des personnes » et enfin « rappeler que le slam, c’est du jeu ». Il développe donc, à cette fin, une pédagogie ludique par laquelle et avec laquelle « on s’amuse, on partage » et on progresse dans la maîtrise de la langue écrite ou parlée. Approche ludique qui ici encore réduit l’asymétrie pédagogique et produit de l’égalité.

Adiel Godiot a aussi insisté sur la nécessité de tenir compte de l’état émotionnel des apprenants qui favorise ou non l’intérêt pour l’apprendre et/ou la création scripturale. Il utilise pour ce faire, dès les premières minutes, un rituel autour d’un « comment ça va » qui n’est pas sans rappeler le « quoi de neuf » de la pédagogie Freinet. Dans le même registre, pour lui, le Slam relève de l’expression libre et s’inscrit dans le registre de l’éducation populaire.

Pour conclure cet axe deux, il faut souligner le retour des expériences conduites par Alizée Mons et Adrien Simonnot sur le thème d’apprendre le français en chanson et en musique. Deux expériences fondées sur l’apprendre autrement dans une approche déscolarisée dont les résultats présentés démontrent, encore une fois combien l’apprentissage, voire l’appropriation, de la langue par la culture est riche et efficace. En bref, trois interventions qui ont insisté, preuves à l’appui, sur la nécessité de sortir du scolaire pour apprendre autrement et éviter, par la même, le maximum de décrochages, donc de décrochés, encore bien trop fréquents dans de nombreux espaces d’éducation.

Axe 3

L’axe 3 a ouvert des perspectives sociologiques et philosophiques, voire anthropologiques. En écho à l’intervention de l’axe 1, Joséphine Rémon s’est interrogée si le fait de mimer, pour se faire comprendre, ne relevait pas de « gestes ancestraux universels ». Gestes qui, peut-être avant la maîtrise du langage articulé, avaient peut-être plus de force évocatrice qu’ils n’en ont aujourd’hui.

Quant à l’intervention de Bruno Tessarech sur la limite de la communication verbale, elle a souligné que le non verbal avait toute sa place dans les interactions humaines, car bien souvent « les mots ne suffisent pas ». Le langage oral est souvent imprécis et parfois mal compris, d’où l’importance, pour peu qu’il soit congruent, du renfort de l’expression non verbale par mimiques, gestes ou postures appropriés. Pour lui, il convient d’éviter le bavardage « qui remplit le vide », qui est un parlé « sans rime ni raison » au message nul ou appauvri.

La finalité du langage est tout autre, elle vise à parvenir de construire de vrais échanges qui impliquent de « prendre l’autre en considération » et de rendre présents le « je » et le « tu » sans que le « on », sans fond et sans contenu, triomphe. Pour appuyer sa démonstration, Bruno Tessarech, a évoqué Albert Camus en dédramatisant son propos, pour lequel « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », d’où la nécessité de prendre soin de la langue et de son discours. Au reste, on peut se demander si bien nommer les choses augmente ou maintient le bonheur du monde.

Il a conclu en soulignant combien des événements « monstres », hypertrophiés sans raison par la presse ou dans l’opinion, comme les punaises de lit, étaient déclencheur d’une logorrhée sociale qui de facto avaient pour résultat le dévoiement du langage.

Marie Treps en linguiste, avec « les mots voyageurs », ces mots venus d’ailleurs intégrés à la langue française en 2022, a évoqué les mots du français adoptés dans d’autres espaces culturels, souvent en les déformant avec quelquefois des marques d’humour déconcertantes. Emprunts qui sont bien souvent retournés, comme les mots voyageurs le furent, brossent « un portrait-robot » édifiant qui révèle certaines de nos faiblesses culturelles en particulier certaines tendances bien françaises à la supériorité. Ainsi par glissement de sens dans les Pays baltes, on est « têtu comme un français » ou par détournement, le mot mariage devient en Croatie un simple jeu de cartes.

In fine

Pour terminer mon propos, il convient d’emprunter les substantifs à Dis-moi dix mots 2024. Le colloque, je le disais en introduction a tenu toutes ses promesses en termes d’intérêt et de qualité et certaines interventions relevèrent de la prouessemais toujours dans l’intérêtdu collectif.Il y eutdes échappées mais sans faux départni hors-jeu. Malgré quelques montées d’adrénaline, le mental resta au beau fixe même si des incompréhensions se glissèrent dans des expressions francophones inconnues comme aller aux oranges2qui déstabilisèrent les champions encordés.

Un léger regret toutefois, voire une petite frustration, quant à le teneur des interventions. Certes, elles furent riches et édifiantes, mais parfois un peu éloignées des attendus du colloque, Gestuelle et humour en langue française. On aurait pu faire plus de place au corps, à la gestuelle et à la chorégraphie ou le mime comme médiums. Ou encore, revenir sur des expressions du type « jeux de mains, jeux de vilains ».

Quant à l’humour, s’il fut au rendez-vous, il aurait peut-être mérité qu’un colloque entier lui soit consacré afin de mieux cerner sa place et ses fonctions dans la langue française.

Au-delà, j’ai imaginé que les migrants de méditerranée, au fur et à mesure de leurs arrivées et de leur intégration, enrichiront notre langue de nouveaux mots, de nouvelles expressions, de nouveaux éléments de culture à partager.

1 Les mots et les expressions entre guillemets sont le reflet de mes notes et donc des propos (déformés ?) des intervenants.

2 Rentrer au vestiaire à la mi-temps d’un match et y consommer des oranges.

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